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Pierre Lamalattie - Précipitation en milieu acide

16 Juillet 2016 , Rédigé par Christian Adam

Pierre Lamalattie - Précipitation en milieu acide

« Ne pas faire l’amour trois fois par semaine revenait pour Béné à intégrer le troisième âge. Selon elle, le sexe était un exercice très sain, dicté par la nature elle-même. Une activité, en somme, indispensable à notre santé. Tous les magazines féminins étaient d’ailleurs d’accord sur ce point. Dans le même ordre d’idées, Béné avait souscrit à un abonnement au Club Med Gym. Elle faisait aussi tourner, chaque jour, une centrifugeuse pour se faire des jus de légumes, riches en antioxydants. Tout cela constituait une hygiène de vie à observer dans la durée. » (16)

« Ma vie, c’était exactement la même chose. La mayonnaise ne prenait pas. Je ne pouvais en faire reproche à personne, si ce n’est à moi-même. Mais elle avait un arrière-goût acide. Rien de beau ne s’y produisait. Il y avait parfois de petites réussites ponctuelles, mais dans l’ensemble, c’était une foutaise assez décousue. La plupart du temps, ma vie se réduisait à une liste de choses à faire. Je m’agitais, je bossais, je consultais mes mails, je faisais les courses, je garais ma voiture, j’essayais de contenter ma femme et j’accueillais des réparateurs Darty. Mais je ne possédais rien de valable, ni la poésie du monde ni même ma propre puissance. J’étais un intermittent de l’existence. Ma vie était dissoute dans le quotidien. Je vivais en solution. J’étais un soluté, un pauvre soluté absolument transparent… » (49)

« J’étais peut-être devenu intello ou bégueule, pour le reste, mes années s’étaient évaporées et je ne m’en étais pas rendu compte. Une durée irrécupérable, vertigineuse. Je m’étais laissé dissoudre dans l’insignifiance indolore de la vie ordinaire. » (85)

« Moi aussi, toute ma vie, j’avais cherché à me donner des genres et à jouer des rôles. Il y avait eu des périodes où j’avais tenté de paraître important, d’autres, original, d’autres encore, viril. Tel le bernard-l’ermite, j’ai longtemps voulu me glisser dans des coquilles flatteuses. Mais, à force de vivre ainsi, on devient une petite chose maigre, molle et répugnante. Tout cela me fatiguait, rien que d’y penser. Je n’avais plus envie de faire le beau, ni devant les femmes ni devant personne. Je n’avais plus le goût de me mettre en valeur. Je voulais être confiant, comme un enfant dans les bras de sa mère ou comme un croyant dans la main de son dieu. J’avais envie de lâcher prise. Voilà tout. » (165-166)

« Ma vie se résumait à quelques souvenirs minimes et à des miettes de rien du tout qui avaient enflé. Elle sentait le renfermé ma vie. Il y avait bien quelques petits éléments dont j’étais fier. Mais, pour la plupart, il ne s’agissait que de points de cristallisation narcissique. Il fallait voir les choses en face. J’avais trop tourné en rond sur moi-même. J’avais tenu à distance le reste du monde et mon propre désir. Telle était ma conclusion. » (178)

« Moi aussi, ces derniers temps, j’ai souvent été en butte au stress. Avec Béné, c’était même mon pain quotidien, le stress. Il y avait de l’amertume en moi. Je la sentais circuler dans mes veines. J’en sécrétais énormément. Elle était partout : dans ma gorge, dans mes mollets, au bout de mes doigts, à l’extrémité de mes orteils. C’était comme la morsure d’une acidité diffuse. Une sorte de panique larvée me gagnait. J’avais l’impression que non seulement Béné m’empoisonnait la vie au sens figuré, mais aussi au sens propre. J’étais à mon insu exposé à une sournoise toxicité. Ça devenait un sujet d’inquiétude. Cela m’a conduit à me poser la question : dans quel état était-elle, ma viande à moi, hein ? En voilà une vraie question qui méritait une vraie réponse ! Dans quel état ? Ce ne devait pas être brillant ! Jusqu’alors, j’avais été confiant. J’avais encaissé. Je me disais que le stress n’était qu’un état d’âme. Les états d’âme, ça va, ça vient. On connaît ça. On gère. Je suis un vieux routier des états d’âme. Mais je craignais que soudainement ma viande, elle aussi, pût être bourrée de toxines, altérée, malodorante et se débinant à la cuisson. Au lieu de faire un beau steak appétissant, elle n’aurait donné qu’un pauvre rogaton fibreux, échoué dans un jus fétide. » (213-214)

« Et puis, dans ces voyages, nous étions partis en couple, comme des cons, la fleur à la boutonnière. Nous n’avions pas prêté attention au fait qu’il y avait des détails qui clochaient. Nous étions contents. Nous voulions y croire, à l’amour, à l’avenir et à tout le bazar. Mais il y avait d’infimes divergences, de petites incompréhensions, des faux-semblants, des artifices. Nous nous mentions à nous-mêmes. Péché véniel ! Mais péché tout de même ! La moisissure s’était développée ! La discorde s’était installée ! C’est vrai, il y avait les joies du cul et, surtout, l’anticipation des joies du cul. Baiser, c’est quand même chouette. Mais tout de même ! À chaque fois, ça a été la même chose. L’imposture s’est insinuée, elle s’est développée et tout a fini en jus de boudin. » (368)

« J’avais une petite pointe de tristesse à songer que, si l’on mettait bout à bout les moments où j’ai vraiment vécu, au long de mon existence, cela n’aurait peut-être fait que quelques semaines, quelques mois, tout au plus. » (385)

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