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Richard Millet - L’Opprobre

17 Février 2010 , Rédigé par Christian Adam

Richard Millet - L’Opprobre

« Ce dont on m’accuse ? [..] je serais un “pseudo-prophète égaré dans ses vaticinations idéologiques”, une “langue de pute”, un “écrivain en perte d’altitude”, un “polémiste d’hôtel de luxe”, “crépusculaire”, “lugubre”, “tartuffe”, “plein de ressentiment”, “désorienté”, “incohérent”, “irrecevable”, “prêchant dans le désert”, “détestable”, écrivain au “propos éculé”, “irresponsable”, tombé dans l’“exagération rhétorique”, “haineux”, “légèrement paranoïaque”, “pathétique”, “déprimé”, “hérétique”, “réactionnaire”, “vindicatif”, “négativiste teigneux”, “aigri”, “ouvertement lepéniste”, “misanthrope”, “homophobe”, “révisionniste”, “détestant son époque”, “suicidé”, enfin. J’aurais tout entendu, j’aurai été traité de tous les noms, et cependant je n’entends rien. Le bruit de l’unanimité est assourdissant, vain. La violence de l’ordre, le nouvel ordre moral, voilà ce que je combats. » (13)

« Il est vrai qu’en France les écrivains ne se lisent pas, ne s’aiment pas les uns les autres, sont assez semblables à des chauves-souris pendues au plafond d’une grotte et que viendrait terrifier la lampe d’un enfant.» (15)

« En vérité, que pourrais-je aimer dans une France qui s’oublie elle-même comme une malade et dont je méprise le peuple ? » (15)

« Au nom de quoi devrais-je aimer mon époque, comme on me le reproche de ne pas le faire ? Qu’est-ce qui me la rendrait aimable ? » (22)

« Par fidélité à mes goûts, et au goût, je me situe hors du processus d’aliénation générale dans lequel le stress et les consolations du consumérisme constituent le nouveau battement du monde.» (24)

« La joie qu’on prend aux autres est devenue rarissime. » (31)

« Il est inévitable que l’épiphanie langagière soit remplacée par la verroterie narcissique. » (42)

« Parlons plutôt de l’inévitable domestication de l’être humain en tant que masse ; cherchons l’impossible éthique de ce qui ne relève maintenant plus du cauchemar historique mais de l’obscène survie de l’espèce.» (50)

« S’il est vrai que la vie n’est que la connaissance d’un indéchiffrable secret, alors laissons-nous déchiffrer par l’inconnaissable.» (63)

« Il n’y a plus vraiment d’étrangers, aujourd’hui : tel est le sens du discours antiraciste, ultime idéalisation de l’humanisme progressiste au sein du réductionnisme libéral [..] du totalitarisme mou [..] d’une mollesse totalisante..» (69)

« L’amour de l’humanité est une des choses dont je me sens le plus éloigné. Tous mes efforts pour supporter l’espèce humaine ont abouti à une idéalisation négative.» (77)

« Tout ce que j’aime est piétiné quotidiennement au nom du consensus antiraciste et par la peur de déplaire à l’islam.» (86)

« C’est en affirmant que la disparition de l’humanité ne me serait pas insupportable que je suis le plus proche d’elle. C’est loin des hommes que je suis humain.» (97)

« La production romanesque contemporaine : son conformisme, sa nullité, son pouvoir mortifère sont structurellement totalitaires, puisque reposant sur un mensonge consensuel.» (102)

« L’amitié entre les peuples est une foutaise politiquement correcte, pas plus digne de foi que ce qui lie un individu à d’autres ; de la même façon que chaque être humain est un échafaudage de chausse-trappes, de même les peuples ne peuvent que s’ignorer ou se haïr.» (112)

« L’esclavage ; non, ils ne savent pas qu’ils ne sont jamais sortis de ce dont ils se croient libérés.» (126)

« Le football, la Sécurité sociale, la terreur islamique, la haine de la littérature : le nouvel univers mental des Français.» (133)

« Dans le métro, il ne reste plus qu’un siège dans un carré de quatre places : je m’y assois près d’un Pakistanais qui pue les épices, d’un vigile caucasien dont le chien empeste le mouillé, d’une fillasse en chaussures de sport qui sent des pieds et d’un type, debout près de moi, qui exhale une haleine chargée de tabac froid. Je me lève, cherche une autre place : il n’y en a pas. Je reste donc debout, entre un Noir sentant un mélange de haschich et de transpiration et une ménagère qui écoute si fort son mp3 qu’à elle seule, en oscillant la tête de droite à gauche et inversement, elle résume l’ilotisme contemporain. Je descends du wagon, monte dans un autre où il n’y a pas plus de place, puis quitte le métro à la station suivante, bien avant ma destination, quoiqu’il pleuve et que les rues soient encombrées de voitures, et les trottoirs par des cyclistes agressifs. Je me réfugie dans l’église Saint-Antoine où je tente d’oublier le bruit du monde auprès d’une vieille femme qui rote de l’ail en marmonnant, et que je fuis en me signant comme si c’était le diable en personne. Que peut la littérature contre cela ? À quel saint me vouer ? Où trouver la force de rester humain ? » (132)

« Les immigrés du Sud ne sont attirés par l’Hexagone que par la version française du rêve américain. Le Français subit l’éclipse de sa langue comme une défaite historique irréversible : il ne lui reste que le sabir à forte teinte maghrébine des banlieues, la créolisation de ses songes.» (138)

« Je préfère chercher ma liberté dans l’apartheid mental, lequel consiste moins à mépriser le métissage, la tolérance, les droits de l’homme, et toutes ces formes de barbarie déguisée, qu’à mourir à ce monde-là pour renaître dans la musicalité d’un corps léger : celui qui parle, face aux corps atones qui ne font que “s’exprimer”, au sein de la grande vertu hygiéniste de l’authenticité.» (148)

« La guerre étant inhérente à l’humanité, la plupart des pensées modernes sont donc des pensées féminines, ou féminisées : elles tendent à en nier le rôle, à l’empêcher, à émasculer le principe mâle, à refuser la condition de l’autre comme ennemi, à nier qu’il y ait des ennemis, à ne pas juger, critiquer, exclure...» (169)

« Vous qui trouvez abstrait, excessif, captieux tout ce que je viens de dire, marchez un instant dans la rue et vous deviendrez, comme moi, un meurtrier en puissance.» (175)

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Olivier Bardolle - Mon réveillon avec le dernier des chiens

10 Février 2010 , Rédigé par Christian Adam

Olivier Bardolle - Mon réveillon avec le dernier des chiens

« Je n’ai plus le goût des promesses intenables et des illusions toujours recommencées.» (14)

« Les fameux “intellectuels de gauche”, ces petits rebelles en dentelles, profanateurs de salons, amateurs de grands crus, trousseurs d’héritières, pérorant sur la “société de spectacle” et ravis d’être invités au Festival de Cannes où ils pourront faire valoir leur fonds de commerce d’iconoclastes patentés [..] Dandys de l’inutile, puérils et paresseux, ils ne ratent jamais une occasion de se goinfrer de canapés au foie gras en fustigeant les riches capitalistes.» (15)

« Lire Heidegger c’est lire un manuel de mécanique, le Dasein est l’équivalent du joint de culasse.» (39)

« Un être qui n’a rien accompli, qui n’est arrivé à rien, qui ne possède rien, mais qui reste enjoué est un être réussi.» (46)

« Aujourd’hui, en Occident, ce ne sont pas les révolutionnaires de salon qui manquent, ce sont les poseurs de bombe.» (53)

« Pour moi, le nihiliste contemporain n’est qu’un imbécile infatué, un nihiliste passif qui, au lieu de penser le rien, ne pense à rien.» (59)

« Vivre, c’est être en colère [..] Aimer la vie, c’est savoir lui demander des comptes, l’attraper par le col, exiger d’elle qu’elle se surveille, qu’elle ne se laisse pas aller à son mépris de l’humain.» (61)

« La femme n’est pas une romantique, c’est une préservatrice-née et pour tout dire une conservatrice.» (63)

« On peut d’ailleurs considérer que si le mot philosophie signifie étymologiquement « amour de la sagesse », l’amour est, lui, à l’opposé de cet idéal de sagesse. Il représente la passion, le débordement, la fureur vitale, l’assujettissement des sens, et finalement, la chute : ce n’est pas pour rien que l’on parle de « tomber amoureux ». Les philosophes se tiennent à l’écart de ce champ de mines. En ce qui me concerne, puisque ça vous tracasse, je vous dirai que cette affaire ne me concerne plus vraiment. J’ai beaucoup donné, et, à mon âge, on devient calme sur le sujet, mais ça ne m’empêche pas de penser que cet élan pulsionnel, toujours excessif, s’apparente à une manifestation panique, à un besoin d’oublier son moi dans une chair extérieure, à une tentative désespérée pour échapper à l’emprise du vide. Vide que l’on ressent toujours plus cruellement dans la solitude. On aime parce qu’à deux, on a moins peur du néant, on aime pour se rassurer, se réchauffer et conjurer la mort.» (70)

« Le fameux coup de foudre, ce big-bang affectif, est un état absolument divertissant, de nature extatique. Il court-circuite le libre arbitre, annihile l’état de conscience et vous soulage de vous-même pendant quelque temps. Mais l’effet ne dure pas, les amants sont inéluctablement exposés au laminoir du temps qui passe et érode les sentiments, ils sont assujettis au dur désir de durer. C’est pour cette raison que je n’aime que les rencontres, les débuts, en amour comme en amitié, ces instants précieux où l’autre, frémissant, est encore un étranger qui fascine, un illusionniste qui vous fait croire à l’infini, le temps éphémère d’un miracle partagé. Tous les êtres semblent extraordinaires lorsqu’ils sont inconnus, nimbés dans le mystère, à bonne distance. On peut projeter sur eux les plus beaux rêves, imaginer le commencement du monde. L’étranger recèle une dimension messianique. Et si c’était l’élu ? Au début, chacun donne le meilleur de lui-même, se surveille, fait attention à sa parure, à ses idées. Il se montre prévenant, attentif, tout sourire, enchanteur. C’est l’histoire du Prince Charmant et de la Belle au bois dormant. Mais c’est vrai en toute chose : l’homme ne crée qu’au début. Dans quelque domaine que ce soit, seule la première démarche est intégralement valide. Celles qui suivent barguignent et se repentent, s’emploient parcelle après parcelle à récupérer le territoire dépassé. C’est ainsi, il n’existe pas de passion durable, pas plus qu’il n’est de séisme continu ou de fièvres ininterrompues, tout finit toujours par retomber. C’est pour cela qu’il ne faut pas s’attarder, qu’il est préférable d’être partout un passant, sinon la grâce s’évanouit avec la durée. Le temps est abrasif à cause de la répétition, toujours l’ennui, le terrible ennui pointe son mufle..» (71-72)

« J’ai eu beau admirer les plus grandes œuvres d’art, contempler les plus beaux paysages, m’émouvoir des pensées les plus élevées, je n’ai jamais rien connu de plus palpitant qu’un beau cul de femme qui se révèle à vous pour la première fois.» (88)

« Tous les sentiments puisent leur absolu dans la misère des glandes.» (89)

« Ne vous souciez pas des hommes, ils sont souvent décevants. Vous seriez vite submergés par le nombre de têtes à claques.» (92)

« Je n’ai pas de patience et je n’ai pas toujours envie d’être intelligent en cherchant à comprendre mon entourage.» (101)

« D’abord, à mon sens, le grand problème de la philosophie spéculative, celle qui vous impressionne, c’est son hermétisme. L’homme de la rue n’y comprend rien. Cette philosophie officielle réduit l’évolution de la pensée humaine à une succession de doctrines académiques. Elle s’enivre de concepts, développe jusqu’à plus soif des analyses interminables et stériles sur des textes obsolètes. [..] Pour moi, tant qu’une philosophie, ou une pensée qui s’affirme comme telle, n’a pas subi l’épreuve du vécu, elle n’est rien que des mots. Une philosophie digne de ce nom, de type socratique, se doit d’être une pensée en action, toujours compréhensible par tous, ou elle n’est rien.»

« Le drame, c’est que la pensée n’intéresse plus. On n’en attend plus de solutions, on n’adhère plus au collectif [..] On se donne des frissons en lisant l’exercice eschatologique de Houellebecq, on fricote vaguement avec le nihilisme, à l’abri dans son cocon douillet bourré d’électronique, mais on ne recherche pas l’intelligence pure, celle qui crée et qui relie après avoir fait l’effort de comprendre.» (103)

« La difficulté que l’homme éprouve à se montrer sincère tient à sa méfiance atavique de l’autre. Pour la bonne raison qu’il ne croit pas en l’autre, et même qu’il le déteste, qu’il est sûr que l’autre lui en veut. Alors il donne le change. L’homme est un illusionniste forcené.» (125)

« On ne peut écarter l’influence de la pression sociale qui interdit la pratique de la sincérité. La vie sociale s’édifie sur le sacrifice de la spontanéité, la culture collective se construit au détriment de l’individu naturel, elle est abrasive, normative, codifiée. Difficile d’y échapper.

- Vous avez une solution ?

- À part la peste bubonique, je ne vois pas… » (126)

« La vie est incompatible avec la pureté.» (132)

« L’homme moderne va devenir un homme virtuel, fixé, tempéré, et il ne sortira de chez lui que pour aller se dégourdir les jambes, gambader dans des parcs et entretenir son système cardio-respiratoire dans les gymnases et les stades.» (136)

« Le culte de la performance s’exerce au détriment du charme [..] Le charme, c’est le temps disponible, les pavés disjoints, l’herbe folle, la diversité des corps, la lenteur, c’est un autre monde où l’important n’est pas de gagner mais d’être, tout simplement.» (163)

« L’intolérance est devenue épidermique. Sous la pression de l’urbanisation, l’homme moderne, confronté à la promiscuité des mégalopoles, ne supporte plus ses semblables, le phénomène relève presque de l’allergie.» (166)

« J’ai beaucoup d’admiration pour les inaccomplis, ceux qui ont eu le courage de s’effacer sans chercher à laisser de traces. » (170)

« - Au fond, vous êtes très proche de Cioran.

- Oui, mais je n’ai pas son talent d’imprécateur. Et puis Cioran était un pessimiste absolu. Il ne croyait pas du tout en l’homme. Pour lui, l’espèce était déchue à jamais. C’était sans espoir, foutu, liquidé. Le caractère définitif de son constat, allié à une prose superbe de rigueur et de précision, en fait un penseur de premier plan [..] Cioran reste quand même un type exceptionnel par sa sincérité et sa rigueur. Il a vécu toute sa vie comme il pensait, il a eu une vie de philosophe, une vie unifiée, cohérente, mais il n’a rien proposé à l’homme, pas de solution, aucune voie. Il s’intéressait au phénomène humain, mais pas aux hommes, il n’avait rien à leur proposer. Pourtant, il est une excellente lecture pour les dépressifs. Bizarrement, il les requinque. Ceux-là sont tout étonnés et finalement ravis de constater qu’il y a plus désespéré qu’eux. Je le recommande à tous ceux qui ont du vague à l’âme. En plus il est drôle et jamais ennuyeux.» (171-172)

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