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Olivier Bardolle - Le cynisme comme remède au chagrin d’amour

30 Septembre 2018 , Rédigé par Christian Adam

 

« Avec le cynique, on sait toujours à quoi s’en tenir, il connaît la vie, il sait l’homme et ses faiblesses, il a lui-même expérimenté toutes les situations, il a vécu l’inconstance, la velléité, et les comportements paradoxaux qui font de l’homme une créature peu fiable. […] Le cynisme est frère de l’ironie et ne se fie ni aux apparences ni aux déclarations. Son atout principal est la lucidité, une décapante lucidité, sous-tendue par un scepticisme de bon aloi. » (17-18)

« L’homme est trop averti de nos jours, trop conscient des choses, et puis il y a trop de tentations, la position fusionnelle est intenable dans la durée. La volatilité du désir est bien plus dévastatrice que les intermittences du cœur. Le désir ne tient pas en place, surtout celui des mâles, vite affolés par la profusion des opportunités. » (19)

« Dans la passion, l’autre me manque quand il n’est pas là, il me manque aussi quand il est là, car il n’y est jamais suffisamment ; dans la relation sexuelle, et même au moment de l’orgasme, il me manque encore. Dans la passion, le manque est impossible à révoquer et c’est pour cela que l’on parle de passion, c’est-à-dire de souffrance. En somme, ça n’est jamais ça, et c’est pour cela qu’on en bave. » (29)

« La plupart des gens cherchent simplement à se caser et c’est l’amour plan-plan qui est le plus répandu. Parce qu’il y a très peu de vrais caractères. Beaucoup sont comme des chiens perdus qui cherchent un maître, le mariage répond à leurs attentes. Et le divorce, quelques années plus tard, les laisse désemparés, comme des chiens abandonnés. Ils font pitié, et surtout à eux-mêmes, éternels victimes de l’amour, ils s’installent dans leur malaise, ils ne savent pas exister par eux-mêmes. Ils ne sont pas libres, ils veulent être recueillis, adoptés, que l’on décide pour eux, comme quand ils étaient petits. » (34-35)

« Ayant en horreur les amours bourgeoises, procréatives et matrimoniales, il sait que la vie domestique n’est pas faite pour lui. Le cynique pense contre l’amour, même s’il ne nie pas sa réalité. » (40)

« C’est bien cette lucidité qui rend le cynique difficilement fréquentable en société, parce que lui passe son temps à dire la vérité, à la dire et à la vivre, agissant de la sorte a contrario du corps social tout en s’épargnant pour lui-même les désagréments multiples de ceux qui vivent d’illusions, et à qui il fait quand même un peu envie. » (43)

 

* * * * *

Quelques « perles du cynisme » :

« Celui qui promet de bonne foi un éternel amour, et celui qui croit à de pareils serments, sont également dupes, l’un de sen cœur, l’autre de sa vanité. » (Choderlos de Laclos, 76)

« La fidélité est louable, mais elle a du mauvais, elle nous encrasse. Cette envie de réviser toutes nos amitiés et toutes nos admirations, de changer d’idoles, d’aller prier ailleurs, c’est elle qui prouve que nous avons encore des ressources, des illusions en réserve. » (Cioran, 81)

« Ça sert au moins à ça, la vie de couple : ne pas être seul quand il faut appeler le médecin.» (Pierre Lamalattie, 93)

« Celui qui vous donne son amour vous prend votre liberté.» (Henry de Montherlant, 99)

« Je ne suis pas tellement monogame. Je trouve que c'est une impasse.» (Fabrice Luchini, 99)

« Le plus beau compliment que je puisse faire à une femme est de lui dire : je suis aussi bien avec toi que si j’étais seul.» (Jean Yanne, 104)

« Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d’amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il en parle alors sincèrement et sans passion. L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres. Il ne veut donc pas qu’on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres. » (Blaise Pascal, 110)

« Nous finissons par découvrir que la fidélité est, dans ses péripéties et même dans ses résultats, quelque chose de plus commode, de plus… je dirais, bassement pratique, que l’infidélité. » (Colette, 112)

« Autant pas se faire d’illusions, les gens n’ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c’est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essayent de s’en débarrasser de leur peine, sur l’autre, au moment de l’amour, mais alors ça ne marche pas et ils ont beau faire, ils la gardent tout entière leur peine, et ils recommencent, ils essayent encore une fois de la placer. « Vous êtes jolie, Mademoiselle », qu’ils disent. Et la vie les reprend, jusqu’à la prochaine où on essayera encore le même petit truc. « Vous êtes bien jolie, Mademoiselle !... » (L-F. Céline, 113)

« Il n’est rien au monde de plus rare qu’une personne que l’on peut supporter tous les jours » (Leopardi, 116)

« Toute fusion est illusoire. Ne faire qu’une seule chair dans un sens fusionnel est une chimère de steak haché. Plus nous vivons ensemble, et plus chacun découvre sa solitude essentielle, et l’altérité irréductible de l’autre.» (Fabrice Hadjadj, 130)

« Si le pauvre Roméo avait eu tout à coup le nez coupé net par quelque accident, Juliette, le revoyant, aurait fui avec horreur. Trente grammes de viande de moins, et l’âme de Juliette n’éprouve plus de nobles émois. Trente grammes de moins et c’est fini, les sublimes gargarismes au clair de lune, les « ce n’est pas le jour, ce n’est pas l’alouette ». Si Hamlet avait, à la suite de quelque trouble hypophysaire, maigri de trente kilos, Ophélie ne l’aimerait plus de toute son âme. L’âme d'Ophélie pour s’élever à de divins sentiments a besoin d’un minimum de soixante kilos de biftecks. Il est vrai que si Laure était devenue soudain cul-de-jatte, Pétrarque lui aurait dédié de moins mystiques poèmes. Et pourtant, la pauvre Laure, son regard serait resté le même et son âme aussi.  Seulement, voilà, il lui faut des cuissettes à ce monsieur Pétrarque, pour que son âme adore l’âme de Laure.» (Albert Cohen, 144) 

« C’est une chose très respectable, l’association de deux êtres, et très normale, pour résister aux heurts de la vie, qui sont innombrables. C’est gentil, c’est agréable, mais je ne crois pas que cela mérite fort une littérature. Je la trouve grossière et lourde aussi, cette histoire: “Je t'aiême !...” C'est un abominable mot, que pour ma part je n’ai jamais employé, car on ne l’exprime pas, ça se sent et puis c’est tout. Un peu de pudeur n’est pas mauvais. Ces choses existent, mais se disent peut-être une fois par siècle, par an... pas à longueur de journée, comme dans les chansons. » (L-F. Céline, 148)

« On peut aimer bien des gens à la fois. C’est une vérité qu’on ne découvre guère qu’en mourant. » (L-F. Céline, 149)

« Si une femme est jolie, ne lui dites pas qu’elle est jolie parce qu’elle le sait ; dites-lui qu’elle est intelligente parce qu’elle l’espère.» (Alfred Capus, 150)

« Il peut y avoir du bonheur dans l’attachement mais la béatitude véritable n’apparaît que là où toute attache est rompue.» (Cioran, 163)

« On peut même ainsi être amoureux de beaucoup de jeunes filles à la fois car on l’est différemment pour chacune. Il est trop peu d’en aimer une seule, et superficiel de les aimer toutes ; mais se connaître et en aimer  le plus grand nombre possible, garder disponible en son âme toutes les puissances de l’amour, en donnant à chacune son aliment propre tout en gardant la conscience de l’ensemble : voilà qui est jouir, voilà qui est vivre. » (Kierkegaard, 164)

« Il cherche des aventures sans lendemain, elle veut des lendemains sans aventure.» (Philippe Muray, 170)

« Chacun jouit de son côté. La possibilité même d’une sexualité repose sur ce que chacun ignore comment l’autre jouit (ni même s’il jouit, tout simplement). C’est un malentendu vital. » (Jean Baudrillard, 174) 

« Ma solitude n’est pas choisie ni voulue. Je la subis comme je subis mon hétérosexualité absolue. Ma solitude est la conséquence de mon hétérosexualité. Je ne peux pas jouir de me confier à un homme. Quant aux femmes évidemment je ne suis pas assez idiot pour ne pas savoir que la seule chose qu’on puisse leur confier (provisoirement) c’est sa queue. Et encore ! Pour ce qu’elles en font ! » (Philippe Muray, 180)

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Cioran – De l’inconvénient d’être né

11 Septembre 2018 , Rédigé par Christian Adam

« Le même sentiment d’inappartenance, de jeu inutile, où que j’aille : je feins de m’intéresser à ce qui ne m’importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m’attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais ce qu’il est. » (38)

« Je ne m’entends tout à fait bien avec quelqu’un que lorsqu’il est au plus bas de lui-même et qu’il n’a ni le désir ni la force de réintégrer ses illusions habituelles. » (39)

« Toutes les fois que quelque chose me semble encore possible, j’ai l'impression d’avoir été ensorcelé. » (59)

« Un ouvrage est fini quand on ne peut plus l’améliorer, bien qu’on le sache insuffisant et incomplet. On en est tellement excédé, qu’on n’a plus le courage d’y ajouter une seule virgule, fût-elle indispensable. Ce qui décide du degré d’achèvement d’une œuvre, ce n’est nullement une exigence d’art ou de vérité, c’est la fatigue et, plus encore, le dégoût. » (63)

« Celui qui redoute le ridicule n’ira jamais loin en bien ni en mal, il restera en deçà de ses talents, et lors même qu’il aurait du génie, il serait encore voué à la médiocrité. » (69)

« Quiconque se voue à une œuvre croit — sans en être conscient — qu’elle survivra aux années, aux siècles, au temps lui-même... S’il sentait, pendant qu’il s’y consacre, qu’elle est périssable, il l’abandonnerait en chemin, il ne pourrait pas l’achever. Activité et duperie sont termes corrélatifs. » (89)

« Pour un écrivain, le progrès vers le détachement et la délivrance est un désastre sans précédent. Lui, plus que personne, a besoin de ses défauts : s’il en triomphe, il est perdu. Qu’il se garde donc bien de devenir meilleur, car s’il y arrive, il le regrettera amèrement. » (90)

« “Est-ce que j’ai la gueule de quelqu’un qui doit faire quelque chose ici-bas ?” — Voilà ce que j’aurais envie de répondre aux indiscrets qui m’interrogent sur mes activités. » (108)

« Pourquoi craindre le néant qui nous attend alors qu’il ne diffère pas de celui qui nous précède, cet argument des Anciens contre la peur de la mort est irrecevable en tant que consolation. Avant, on avait la chance de ne pas exister ; maintenant on existe, et c’est cette parcelle d’existence, donc d’infortune, qui redoute de disparaître. Parcelle n’est pas le mot, puisque chacun se préfère ou, tout au moins, s’égale, à l’univers. » (114)

« Il est rare de tomber sur un esprit libre, et quand on en rencontre un, on s’aperçoit que le meilleur de lui-même ne se révèle pas dans ses ouvrages (quand on écrit, on porte mystérieusement des chaînes) mais dans ces confidences où, dégagé de ses convictions ou de ses poses, comme de tout souci de rigueur ou d’honorabilité, il étale ses faiblesses. Et où il fait figure d’hérétique par rapport à lui-même. » (127)

« Je ne connais la paix que lorsque mes ambitions s’endorment. Dès qu’elles se réveillent, l’inquiétude me reprend. La vie est un état d’ambition. La taupe qui creuse ses couloirs est ambitieuse. L’ambition est en effet partout, et on en voit les traces jusque sur le visage des morts. » (128)

« Pas le moindre soupçon de réalité nulle part, sinon dans mes sensations de non-réalité. » (128)

« Personne n’a été autant que moi persuadé de la futilité de tout, personne non plus n’aura pris au tragique un si grand nombre de choses futiles. » (143)

« Le droit de supprimer tous ceux qui nous agacent devrait figurer en première place dans la constitution de la Cité idéale. » (143)

« Lorsque je fulmine contre l’époque, il me suffit, pour me rasséréner, de songer à ce qui arrivera, à la jalousie rétrospective de ceux qui nous suivront. Par certains côtés, nous appartenons à la vieille humanité, à celle qui pouvait encore regretter le paradis. Mais ceux qui viendront après nous n’auront même pas la ressource de ce regret, ils en ignoreront jusqu’à l’idée, jusqu’au mot ! » (153)

« Je ne suis rien, c’est évident, mais, comme pendant longtemps j’ai voulu être quelque chose, cette volonté, je n’arrive pas à l’étouffer : elle existe puisqu’elle a existé, elle me travaille et me domine, bien que je la rejette. J’ai beau la reléguer dans mon passé, elle se rebiffe et me harcèle : n’ayant jamais été satisfaite, elle s’est maintenue intacte, et n’entend pas se plier à mes injonctions. Pris entre ma volonté et moi, que puis-je faire ? » (179)

« Si je repense à n’importe quel moment de ma vie, au plus fébrile comme au plus neutre, qu’en est-il resté, et quelle différence y a-t-il maintenant entre eux ? Tout étant devenu semblable, sans relief et sans réalité, c’est quand je ne sentais rien que j’étais le plus près de la vérité, j’entends de mon état actuel où je récapitule mes expériences. À quoi bon avoir éprouvé quoi que ce soit? Plus aucune « extase » que la mémoire ou l'imagination puisse ressusciter ! » (181)

« Est-ce un acrobate ? est-ce un chef d’orchestre happé par l’Idée? Il s’emballe, puis se modère, il alterne l’allegro et l’andante, il est maître de soi comme le sont les fakirs ou les escrocs. Tout le temps qu’il parle, il donne l’impression de chercher, mais on ne saura jamais quoi : un expert dans l’art de contrefaire le penseur. S’il disait une seule chose parfaitement nette il serait perdu. Comme il ignore, autant que ses auditeurs, où il veut en venir, il peut continuer pendant des heures, sans épuiser l’émerveillement des fantoches qui l’écoutent. » (186)

« Des arbres massacrés. Des maisons surgissent. Des gueules, des gueules partout. L’homme s’étend. L’homme est le cancer de la terre. » (199)

« Si je suivais ma pente naturelle, je ferais tout sauter. Et c’est parce que je n’ai pas le courage de la suivre que, par pénitence, j’essaie de m’abrutir au contact de ceux qui ont trouvé la paix. » (206)

« À chaque âge, des signes plus ou moins distincts nous avertissent qu’il est temps de vider les lieux. Nous hésitons, nous ajournons, persuadés que, la vieillesse enfin venue, ces signes si nets que balancer encore serait inconvenant. Nets, ils le sont en effet, mais nous n’avons plus assez de vigueur pour accomplir le seul acte décent qu’un vivant puisse commettre. » (207)

« La curiosité de mesurer ses progrès dans la déchéance, est la seule raison qu’on a d’avancer en âge. On se croyait arrivé à la limite, on pensait que l’horizon était à jamais bouché, on se lamentait, on se laisser aller au découragement. Et puis on s’aperçoit qu’on peut tomber plus bas encore, qu’il y a du nouveau, que tout espoir n’est pas perdu, qu’il est possible de s’enfoncer un peu plus et d’écarter ainsi le danger de se figer, de se scléroser... » (220)

« Nul n’approche de la condition du sage s’il n’a pas la bonne fortune d’être oublié de son vivant. » (220)

« Au paradis, les objets et les êtres, assiégés de tous côtés par la lumière, ne projettent pas d’ombre. Autant dire qu’ils manquent de réalité, comme tout ce qui est inentamé par les ténèbres et déserté par la mort. » (223) 

« Un peu de patience, et le moment viendra où plus rien ne sera encore possible, où l’humanité, acculée à elle-même, ne pourra dans aucune direction exécuter un seul pas de plus. Si on parvient à se représenter en gros ce spectacle sans précédent, on voudrait quand même des détails... Et on a peur malgré tout de manquer la fête, de n’être plus assez jeune pour avoir la chance d’y assister. » (230) 

« Quand on ne croit plus en soi-même, on cesse de produire ou de batailler, on cesse même de se poser des questions ou d’y répondre, alors que c’est le contraire qui devrait avoir lieu, vu que c’est justement à partir de ce moment qu’étant libre d’attaches, on est apte à saisir le vrai, à discerner ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Mais une fois tarie la confiance à son propre rôle, ou à son propre lot, on devient incurieux de tout, même de la « vérité », bien qu’on en soit plus près que jamais. » (235)

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