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Pascal Bruckner – L’Amour du prochain

24 Avril 2019 , Rédigé par Christian Adam

« La vérité c’est que j’étais devenu fonctionnaire par automatisme et mari par manque d’imagination. Suzanne avait bien voulu de moi à une époque où j’étais seul, nous nous étions accommodés l’un de l’autre. Les gens vous disent toujours qu’ils ont vécu une folle jeunesse : en réalité, il s’agit d’excuser leur piteuse maturité. Leur jeunesse était déjà médiocre, l’état adulte n’a rien arrangé. » (24)

« Il y a plusieurs vies dans la vie d’un homme et toutes ne se ressemblent pas. Un jour le destin frappe à votre porte et vous prend par la mainLaissez-vous conduire : c’est l’heure unique où il se penche sur votre cas. L’occasion ne se reproduira plus. Trop de gens qui ont perdu jusqu’à l’idée même de liberté s’y refusent. Ils sont pareils à des insectes enfermés dans un bocal : ils maudissent leur condition, se déchirent entre eux mais ne font rien pour en sortir. Offrez-leur un autre bocal ou mieux encore le grand air : ils déclinent. L’habitude les guide sur les mêmes ornières depuis l’enfance. » (45)

« Ce qu’il y a de merveilleux dans le couple, c’est qu’il vous protège de tout, même de l’amour. Mon compagnonnage avec Suzanne n’était pas exempt de routine. Je venais d’en prendre pour dix ans de bonheur conjugal ; goûter chaque jour du même plat, fut-ce un mets princier, éveillait en moi un rêve de diversité. Comme tous les époux, j’allais devenir eunuque par fidélité plutôt que par chirurgie. Je n’avais rien à reprocher à Suzanne : elle était parfaite, attentive. Si j’étais tombé malade, elle m’aurait soigné avec un dévouement admirable, j’avais en elle une confiance absolue. Même quand nous faisions l’amour, nous restions chastes : le sexe n’était plus un événement, il s’était intégré au cours des choses. Nous étions rangés, neutralisés : deux chapons satisfaits qui auraient oublié jusqu’au premier souvenir de leurs premiers émois. Cet état pourtant m’arrangeait : j’évoluais mieux dans la tiédeur d’une affection convenue que dans les extrêmes de la passion. Je suis un homme d’ordre, pas un rebelle. J’aime l’ordre sans modération. Et quand je me dérègle, c’est méthodiquement. » (69-70)

« Je constatais à quel point la fellation est sœur jumelle de la sculpture : il s’agit d’édifier avec sa bouche une statuette turgescente et rigide jusqu’à faire briller le gland comme un soulier verni. Mais c’est un art éphémère et l’organe ainsi dressé est voué à fléchir tel un cierge qui se consume. » (87)

« Le trouble sensuel n’est pas lié à la beauté mais à la nouveauté d’un corps dont l’exploration donne le vertige. Le désir pour naître a besoin d’une certaine imperfection, il est sensible aux petits défauts qu’il célèbre et rachète dans son élan quand les très beaux visages, enfermés dans leur minéralité, dégage quelque chose de glaçant. J’aimais le travail du temps sur les êtres, suivre du bout des doigts l’entrelacs des rides au coin de la bouche, les plis de la chair dans le cou, le froissé d’un ventre un peu relâché, j’aimais la douceur de papier de soie de leur peau, les organes lourds qui tombaient avec grâce comme écrasés par leur propre inertie, les marques de bronzage qui annonçaient les zones brûlantes, l’imprimé des agrafes et des ceintures sur les hanches qui dessinaient des hiéroglyphes. Bourdon chargé de titiller mes reines, j’allais de surprise en surprise, rien ne me rebutait. Ces corps gâtés, un peu empâtés m’excitaient terriblement. Les flancs épais, les cuisses marbrées, les seins veinés, crevassés disaient l’expérience, l’aptitude à jouir mieux que la silhouette élancée d’une sylphide. » (100)

« Notre couple se maintenait, cahin-caha, dans un état d’invalidité permanente. J’injectais suffisamment de concessions pour le maintenir, pas assez de passion pour le guérir. Les nuages s’amassaient, nous commencions à touiller la soupe rance des rancœurs domestiques. L’exaspération est le climat sentimental des vieux époux qui ont trop mangé au même râtelier et ne supportent plus leur haleine réciproque. Et l’on est un vieil époux dès qu’on a trois ans de vie commune et qu’on s’énerve de trouver l’autre si prévisible, de se constater si conforme à ce qu’il sait de nous. Le mariage est une guerre que deux personnes se livrent pour se punir d’être ensemble. » (114-115)

« Un soleil couleur moutarde jaunissait la ville et tombait à l’horizon comme une pièce d’or dans une tirelire.» (124)

« J’ai toujours adoré ce moment où une femme distante, fermée comme une tombe, se rend à vous, quand la terre promise devient la terre permise. » (125)

 « Elle craignait que ses pensées intimes ne s’inscrivent au-dessus d’elle comme les bulles de bande dessinée. » (126)

« Les amants s’inventent toujours une grammaire inédite du désir même quand ils répètent des gestes immémoriaux. Je pratiquais avec mon amie une innocente habitude qui acquit une splendeur inusitée : le baiser sur le sexe. Il constituait pour moi un mets princier que je goûtais sous toutes ses formes, il m’éclatait au nez avec ses lourdes senteurs et j’en admirais la broderie complexe, les lèvres entrouvertes qui interrogent sans répondre, consolent sans rassasier. Les êtres qu’on aime n’ont pas un organe génital comme les autres mais un dessin particulier, aussi unique qu’une empreinte digitale. Celui de Dora, j’aurais voulu le détacher de son corps et l’emporter avec moi. Je plongeais dans son terrier, la saillie de mon nez écartait les obstacles, barattait tout un paysage aquatique. Je me faisais abeille butinant son miel, chien truffier, cochon dans son auge mais cette auge était plus riche qu’un tas d’or, elle contenait les éléments fondamentaux de la vie. Je dévorais la crevasse sucrée, je m’abreuvais de cette huile nourricière. Si, par étourderie, j’oubliais l’œil sombre d’à côté, le petit volcan aux senteurs poivrées, il se fâchait, lâchait une vigoureuse protestation, quand vous détenez cette tendre architecture entre les lèvres, quand vous roulez sous votre langue le bibelot vénéneux du clitoris, vous pouvez mourir apaisé, vous siégez au cœur même de la beauté. » (127)

« J’avais élu domicile entre les jambes de ma maîtresse entre asphyxie et résurrection. Son sexe sécrétait une crème grasse qui, mêlée à ma salive, formait une nourriture intime que nous nous partagions telle une hostie. Je fouaillais son ventre pour la porter au plus haut niveau d’incandescence. Elle entrait alors en liquéfaction. Les yeux mi-clos, montrant la face aveugle d’une statue, elle émettait un bourdonnement continu, commençait son récital, montait et descendant les gammes, secouait la même note longtemps à la façon des chanteuses orientales. On eût dit que la foudre la soulevait de terre, elle semblait saturée d’électricité. Elle psalmodiait, pleurait, suppliait et parfois me renversait loin d’elle, me frappait pour me punir de lui faire du bien. Puis elle revenait d’entre les morts, le teint crayeux, d’une pâleur d’ivoire ancien. Des cernes noirs dévoraient ses yeux. J’émergeais à mon tour, la bouche gonflée de sucs, avec le sentiment d’être un baptisé sortant des eaux du Jourdain. »  (128)

« Passé certains seuils d’intimité, les phénomènes amoureux peuvent s’inverser et séparer des amants que tout rapprochait. On croit aimer un être ; ce n’est pas cette personne que l’on aime, c’est l’état dans lequel elle vous met et dont elle ne constitue que le prétexte […] Comme toujours, dès que l’enchantement décroit, se multiplient les arguments à charge pour prouver que l’autre a démérité. Des détails inaperçus jusque-là vinrent s’interposer entre nous […] Je ne portais plus sur elle ce regard admiratif des premiers temps quand tout de l’autre vous ravit jusqu’à ses maladresses. Vient un moment où un être n’est que ce qu’il est, à la fois singulier et limité, et cesse de nous terrasser de sa nouveauté. » (141-142)

« Ce qui nous émeut d’un être, ce n’est pas ce qu’il a conçu pour nous séduire, c’est ce qu’il avoue de lui-même, à son insu, quand il braque la lumière sur des abîmes ravissants. » (198) 

« Paul et Lorraine n’étaient pas simplement gros comme mon frère Léon ni même énormes : ils étaient répandus pareils à deux amoncellements de saindoux, deux flaques de chair humaine de la taille d’une piscine. La nature avait relâché là toute notion de frontière. Je ne sais quel cataclysme endocrinien avait produit ces menhirs mous. La prolifération adipeuse avait déformé les traits des visages qui s’étaient effondrés de la même façon et se ressemblent par des boursouflures, des éboulements identiques […] Ils m’évoquaient les nourrissons gonflés à l’hélium : ils n’avaient pas grandi, ils avaient enflé dans des proportions indicibles. Je compris l’épouvante qui avait dû saisir les habitants de Pompéi quand le Vésuve avait craché ses entrailles de feu ; il y avait quelque chose de l’éruption volcanique chez ces mastodontes lascifs, une crue qui dévalait en cascade. J’avais presque envie de les lier, de les saucissonner comme de gros boudins blancs puis de les débiter en tranches pour en venir à bout […]  J’avais affaire à une cataracte de coussinets, de monticules qui dissimulaient formes et orifices. Lorraine devait en permanence se rassembler, lutter contre l’éparpillement, ramener une partie d’elle-même qui pendait, telle une jeune mariée ramassant la traîne de sa robe. Elle retroussa doucement sa chemise de nuit et me laissa la contempler tout mon soûl pour m’éviter une commotion trop brutale. De longues minutes durant, je pus me repaître de cette géographie chaotique : les seins avaient presque disparu tant les protubérances annexes s’étaient multipliées mais l’aréole était reconnaissable par sa largeur, celle d’une soucoupe, presque d’une assiette. Je détectai ainsi les tétons, deux noisettes que je pris dans ma bouche autant par conscience professionnelle que pour me fixer des repères. J’aurais voulu, comme à l’école, y planter des petits drapeaux. Au lieu des plaines, éminences, ravins habituels, ce n’étaient que glandes hypertrophiées, mamelles anarchiquement distribuées, rouleaux de couenne, nappes de graisse stagnantes. Paysage après blizzard, grand cataclysme flasque […] Tout ce volume défiait mon savoir, brouillait mes mesures : je procédai à de brefs relevés topographiques, explorai avec mes mains, essayant de distinguer les parties, les articulations, les régions principales. Je pouvais considérer ma partenaire sous deux angles : comme un magma qui me réduirait en bouillie si jamais je glissais sous elle ou comme un continent aux provinces diverses où je pouvais nomadiser à ma guise pourvu que j’acquière un autre sens de l’espace. Lorraine me rappelait ces mammifères marins, phoques ou lamantins, gauchement échoués sur le rivage et qui procèdent par bonds maladroits jusqu’à la mer quand ils sont poursuivis […] Bientôt j’apprivoisai cette masse débordante, goûtai la suavité de cet entassement de gélatine. J’imaginai là-bas, derrière ces collines, la fente roséolée et décidai de partir à sa recherche […] La boule humaine coopérait du mieux possible et m’indiquait la marche à suivre, guidait mes doigts sur son épiderme distendu. Elle haletait comme un soufflet de forge à mesure que j’approchais du Saint-Graal, écartais ses énormes poteaux, décollais péniblement une cuisse de l’autre. J’aperçus enfin la toison, mince confetti végétal posé sur cette toundra adipeuse. Mais pas un instant je ne parvins à la toucher. Partout la chair coulait à torrents menaçant de m’engloutir. Je nageais dans cette femme comme dans l’océan, remontais des courants adverses, me défendais contre des marées trop fortes, des houles suffocantes. Je me noyais, je réémergeais, plongeais à nouveau. J’étais ivre, vautré dans cette immensité d’où s’écoulaient, copieuses, des eaux dont on ne savait si elles étaient de plaisir ou le résultat de la rupture d’une digue. Comme si une bonde avait sauté sous la pression, transformant Lorraine en femme fontaine. Je me faisais l’effet d’un insecte juché sur le dos d’une baleine dont je recueillais l’exquise sudation. Je me voyais sommé d’émoustiller cette volumineuse […] Lorraine s’échauffait, des secousses la parcouraient comme un bol de gelée qu’on agite. Ce bibendum soufflait, gémissait, hululait, sa voix, douce, était celle des sirènes la nuit qui appellent les marins à proximité des récifs. Des images aquatiques me venaient, monstres océaniques, poulpes géants s’accouplant, s’enchevêtrant à des profondeurs vertigineuses. Elle manifestait une gracilité dans la lourdeur qui nous étonna. À Dora revint l’honneur d’accéder la première à son sexe, minuscule corail carmin qui aurait pu être celui d’une petite fille et que j’entrevis quelques instants avant que de lourdes tentures ne le recouvrent à nouveau. Rien de plus chaste que les très corpulents puisque l’épaisseur cache leur nudité. Enlisée jusqu’à l’encolure, au prix d’un effort soutenu, ma maîtresse léchait Lorraine dont je tenais les deux jambes écartées tel un athlète les colonnes d’un temple. Notre hôtesse aurait souhaité une pénétration en bonne et due forme mais l’angle d’ouverture des cuisses et leur énormité rendaient la chose impossible à moins d’être assisté par une escouade de déménageurs. » (219-223)

« L’âge est le triomphe des lois de la pesanteur, les bourses pendent, le dos se voûte, la tête s’incline ; nos membres et nos organes prennent leur autonomie et se détachent du reste. Chaque époque de l’existence a son odeur : l’enfance sent le lait, l’adolescence le fauve, l’âge mur le parfum et la vieillesse le médicament. Quand je me regardais dans une glace, j’étais méconnaissable : comme si une main avait empoigné une partie de mon visage et l’avait chiffonné jusqu’à la réduire à un tas de rides et de crevasses. »  (277)

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Pascal Bruckner - Les Voleurs de beauté

8 Avril 2019 , Rédigé par Christian Adam

 

« De grands sapins fantomatiques nous encadraient, tel un cordon de soldats aux manches poudrées. Je déteste ces arbres grégaires qui ne savent aller qu’en bande comme les loups.» (14)

« J’essayais de m’orienter en suivant la ligne noire des résineux qui longeaient la route. Ils me faisaient une haie d’honneur, ils évoquaient des grooms portant des paquets en silence : recueillir la neige était leur métier.» (15)

« Paris émergeait des ténèbres, une aube malade se levait, tirée par quelque machiniste fatigué qui allait une fois encore essayer de dresser au-dessus des toits un décor d’été.» (69)

« Hanté depuis toujours par la désintégration, je suis né vieux, épuisé comme si j’appartenais à une race finie. J’ai 38 ans aujourd’hui, j’en parais 50. J’abrite en moi un cadavre qui me ronge et grandit à mes dépens. J’aurais aimé, dès l’adolescence, acheter des tranches de temps à un marchand pour freiner l’usure. Le gris s’est déposé sur ma face au berceau et ne m’a pas quitté depuis.» (37)

« Je n’avais qu’une passion, les livres, mes seuls alliés dans ma lutte contre le temps. Je préfère les livres aux humains : ils sont déjà écrits, on les ouvre, on les ferme à volonté. Un être humain, on ne sait jamais comment le prendre, on ne peut le ranger ou le déranger à loisir.» (37)

« Le miracle de l’amour, c’est de resserrer le monde autour d’un être qui vous enchante, l’horreur de l’amour, c’est de resserrer le monde autour d’un être qui vous enchaîne. » (81)

« Dans la salle de bains, je m’examinai dans un de ces miroirs grossissants qui font les pores de la peau à la taille d’un cratère et les poils de barbe longs comme des javelots. L’ampleur des dégâts était manifeste. J’étais jaune, avarié ; des cercles de peau s’amollissaient, une crevasse courait sur mon menton comme si le temps en personne m’avait lacéré  d’une minuscule badine. Et la ride au coin de l’œil gauche était toujours là. Dire que je revenais de vacances ! Je basculais sur l’autre rive. L’âme me submergeait comme une insistante marée, me dépeçait millimètre par millimètre. J’aurais tellement voulu être assez lisse et poli pour que ce soient les miroirs qui se regardent en moi. Je me palpais pour me définir et endiguer la fuite de mes traits qui coulaient de partout. Je contemplai ébahi les progrès de la dégradation. J’avais 37 ans, j’étais fini. » (99)

« Un détail m’étonna dans son visage : la peau de ses paupières, abondante, s’accumulait au bord des cils, tel un store roulé en haut d’une fenêtre. On se demandait si elle les descendait le soir pour dormir. » (106)

« J’ai beau me surveiller, pratiquer tous les sports, passer de temps à autre entre les mains des chirurgiens, mon éclat s’effiloche et je suis entrée dans la catégorie des “beaux restes”. Je vois chaque printemps arriver sur le pavé de nos villes des escouades de jeunes filles qui me repoussent dans l’ombre. Elles exhibent des plastiques à se damner, qui sèment défaite et désespoir parmi leurs aînées. Leurs jambes me narguent, leurs poitrines me donnent envie de cacher la mienne. Elles me regardent avec commisération comme si j’avais déjà franchi une ligne invisible. À vingt ans la beauté est une évidence, à trente-cinq une récompense, à cinquante un miracle. Ces hommages muets, ces chuchotements que soulève sur son passage une jolie femme, je ne les suscite presque plus. Au lieu de lutter en vain, je préfère abdiquer. Quand on lit sa disparition inscrite dans le regard des autres, il est temps de tirer sa révérence.» (133-134)

« La beauté n’est pas une promesse de bonheur, mais une certitude de désastre. Les êtres beaux, hommes ou femmes, sont des dieux descendus parmi nous et qui nous narguent de leur perfection. Là où ils passent, ils sèment la division, le malheur et renvoient chacun à sa médiocrité. […] La beauté humaine est l’injustice par excellence. Par leur seul aspect, certains êtres nous dévaluent, nous rayent du monde du vivant : pourquoi eux et pas nous ? Tout le monde peut devenir riche un jour ; la grâce, si on ne l’a pas de naissance, ne s’attrape jamais. […] Les beaux nous offensent, nous doivent réparation pour l’outrage commis. » (134-135)

« Une veine lui battait sur le bombé du front comme si une bête tapie dans les replis de son cerveau tentait de s’en affranchir. » (143)

« Savez-vous ce qui enlaidit nos captives ? Que personne ne les voie. Or la beauté n’existe qu’admirée, elle est toute d’ostentation. Cessez de braquer vos yeux sur elle, elle dépérit.  Ces créatures divines, follement imbues d’elles-mêmes, pour qui chaque jour doit être un plébiscite, nous tranchons d’un seul coup la source de leur vitalité, nous coupons tout ce réseau d’œillades et d’hommages qui les alimentaient. […] Nous les soumettons à l’opprobre suprême : l’invisibilité. » (144)

« Ses poches sous les yeux lui faisaient ces agrégats boursouflés que produisent les bougies en coulant. » (152)

« Le couple est la capitalisation des griefs que chacun fait payer à l’autre avec intérêts. » (170)

« Les toits grimpés les uns sur les autres étaient des coques de bateaux renversés, luisantes, échouées à marée basse sur une grève. » (174)

« Certaines femmes sont attirées par les êtres déséquilibrés. Elles aiment non pas l’autre mais l’égarement  qu’il représente et trouvent leur satisfaction à jongler au-dessus du précipice.» (175)

« Les touristes convergeaient déjà en bataillons disciplinés devant la cathédrale, mitraillaient la façade avec une docilité unanime. En short ou bermuda, ils attaquaient les lieux saints avec détermination, le doigt sur la gâchette de leur caméra, prêts à prendre Dieu en flagrant délit. Le touriste ne croit aux choses qu’après les avoir transformées en clichés. » (175)

« Celui qui est méconnu des femmes les observe et les comprend avec une acuité que n’a pas le fat séducteur. Tout était blessure à Raymond : l’arôme d’une bouche, le parfum d’une aisselle, un rire un peu incisif, le renflement d’une épaule, le bombé d’un ventre.» (204) 

 

 

 

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