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Pierre Drachline - Pour en finir avec l’espèce humaine

16 Octobre 2015 , Rédigé par Christian Adam

Pierre Drachline - Pour en finir avec l’espèce humaine

« La débâcle des années m’a éloigné de ce que je prétendais être. Les miroirs ont abandonné toute complaisance. Vieillir, c’est ne plus échapper à son image. J’arbore désormais le masque de mon cadavre. Je me suis lassé de presque tout en pitre inconscient. L’ardoise, sans être magique, effaçait d’elle-même mes reniements et renoncements. Ma dégringolade aura été mon unique excès de vitesse. » (12)

« La misanthropie ne fut pas un choix ou une posture. Mais une évidence. Une exigence de l’amertume. Ce capital, je n’ai eu de cesse de le faire fructifier. Mes contemporains, il est vrai, furent exemplaires. Ils ont rendu fertile ce désert. Il ne s’est pas passé de jour sans que je n’aie eu à me réjouir de leur médiocrité. Toutes classes sociales confondues. Une pyramide de fumier. Le cynisme s’imposa vite comme une nécessité pour l’apprenti imposteur que j’étais. Il me servit à dissimuler la haine qui rongeait jusqu’à mes sourires de petit escroc au quotidien. Je distillais mes poisons sous une ironie vinaigrée. Les dupes en redemandaient. Tels des oisillons attendant la becquée. D’aucuns, les plus crétins, s’étonnaient que je n’aie pas envisagé de m’engager en politique politicienne. « Gouverner des singes ! Quelle infamie ! » Cette réponse, dont je ne variai jamais, leur arrachait des ricanements. Pas un n’y vit l’expression de mon dégoût pour l’espèce humaine. » (12)

« Cette fin de parcours m’autorise toutes les libertés. Je n’ai plus aucune précaution à prendre avec qui que ce soit. Léger et Libre comme je ne l’ai jamais été auparavant. J’en ai fini enfin avec la lâcheté et l’hypocrisie. Béquilles de tout homme se mouvant dans la vase sociale. Désormais le ressentiment me tient chaud au cœur. Je l’entends battre ce vieux muscle inutile. La rage exhale par tous les pores de ma peau. N’importe qui devient une cible livrée à mon plaisir. Détruire d’abord, réfléchir ensuite. J’en aurai mis du temps à devenir un sauvage ! » (14)

« La parole doit être terroriste. Entre le cri et le silence, il n’y a rien. Juste des haleines fétides qui, à force de rots et de pets, établissent la dictature de la normalité. Du nombre. Comment définir une telle oppression ? Les mots perdent leur innocence sous les bottes de la massification. Ils sont condamnés à s’effacer dans la poussière. Le vocabulaire se réduit comme une peau de chagrin. Il ne peut en être autrement. Pour les grenouillages marchands ou sexuels des humains, un gazouillis onomatopéique paraît presque de trop. Observez-les ! Ils ne se parlent plus. Ils communiquent entre eux à l’aide de leurs prothèses informatisées. Ils affichent alors une béatitude quasi mystique. Le sentiment d’exister les submerge. Pour un peu, ils en deviendraient guerriers. Ils marchent au pas de l’oie dans leurs têtes. Multitude dont l’infini se perd au-delà de l’horizon. » (15)

« Trop de vies ne sont que des existences de bête de somme. Une année d’arrivée, une de départ. Entre les deux, presque rien. Un fait divers tristounet. Les inconsolables se reconnaissent à leurs colères blanches. La lucidité est une blessure sans cicatrisation possible. Alors, les conscients grattent, explorent et approfondissent la plaie. Ils en extraient l’essence de leur mal à vivre entourés de fantômes. Chaque phrase est une bolée de sang noir. Un poison aux senteurs malodorantes. Qui déguste ce breuvage en sera pour toujours imbibé. L’ivresse du dégoût. Je n’ai jamais dessoulé. Trop heureux d’être à part. Un îlot de solitude égaré dans le désert de l’humanité. Tête raide face à la meute. » (21)

« Las ! L’espérance est la consolation des imbéciles. Nous vieillissons en intermittents de la vie. Les visages affichent les déceptions autant que les rides et les taches de vieillesse […] Et chacun va vers la décrépitude avec en bandoulière sa tirelire de larmes. Mais sur qui les verser ? Alentour, la sécheresse a gagné les cœurs et les mains. Les poings qui se ferment sur le vide le font avec un bruit d’os. Toutes les générations sont dévaluées. Démonétisées. Il n’y aura pas de syndic de faillite pour l’homme. Ni de repreneur. Qui voudrait être le dictateur de larves ? » (28)

« Ne sommes-nous pas en permanence pollués par les fadaises de nos contemporains ! Les drogués au téléphone portable étant parmi les plus redoutables aboyeurs des rues. Le port de la muselière s’impose. Elle doublera celle qu’il ont déjà sur les neurones. [...] Nous sommes cernés par des armées de nuques molles. La tête pendouillante vers un nombril dilaté à force de servir de miroir. Ne pas être absorbé par ces zombies et dilué dans la masse visqueuse implique une sorte de résistance sournoise. » (40-41)

« Les Indignés découvrent des évidences et s’en émeuvent à la manière des castrats […] Dans le bric-à-brac de leurs affolements, il y a de quoi satisfaire tous les appétits. À boire, à manger et surtout à digérer. Cette espèce de fast-food bio du politiquement confortable est l’expression d’encéphalographies sans relief. L’activité cérébrale y est en sommeil. Nulle nécessité de les débrancher. » (54)

« Nous serions menacés par la fonte des glaciers. Leur sainte frousse fait naître en moi des espérances folles. Des terres submergées par la montée inexorable des océans, des populations chassées de leurs habitations. Et alors ? Les hommes en matière de massacres et de destructions n’ont de leçons à recevoir de leçon ni du ciel ni de la terre. » (96)

« Dans les décombres de la nuit, quand l’aube se déshabille pour bientôt laisser place à la grisaille du jour, il m’arrive d’envier les aveugles. Ils n’ont pas à subir la vision de la déferlante des primates. Pressés d’arriver à leur pénitence. » (126)

« Vivre ne devrait être qu’une suite de dérapages incontrôlés. Que vaut une chute si elle n’est pas libre ? » (139)

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