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Jaime Semprun - Dialogues sur l’achèvement des temps modernes

5 Mai 2010 , Rédigé par Christian Adam

Jaime Semprun - Dialogues sur l’achèvement des temps modernes

« L’usage de la pensée [..] est en outre néfaste, puisqu’il entretient en nous cette sensibilité génératrice de déplaisir ou de douleur dont celui qui a abandonné toute idée de goût personnel est heureusement délivré.» (10)

« La pensée est un fardeau inutile quand on ne peut agir sur son sort.» (11)

« Vous songez à ces intellectuels qui gémissent sur la défaite de la pensée sans jamais s’en prendre réellement à ce qui la défait. En réalité ils n’ont rien à objecter à la société qui les nourrit, où l’on mène une existence de brute, où toute pensée est superflue et même néfaste, mais ils voudraient néanmoins pour assurer leur pitance qu’il y ait une demande stable, un marché pour continuer à écouler leur production.» (16)

« Pourquoi diable faudrait-il faire l’effort d'être plus conscient si cela ne change rien à notre situation réelle ? » (18)

« Le rôle de l’imagination est moins d’établir des choses étranges que de faire paraître étranges les choses établies.» (32)

« Depuis presque un siècle, on fabrique de l’avenir en quantités industrielles qu’il semble que nous n’en viendrons jamais à bout, qu’il nous en restera toujours à rattraper, à éponger en quelque sorte... On en a mis partout, dans tous les coins il y a des réserves d’avenir prêtes à nous sauter à la figure : des épidémies d’avenir, des infirmités d’avenir, de la radioactivité pleine d’avenir.» (44)

« Si le cœur bat au rythme du temps, comment bat-il dans une époque d’accélération de la falsification ? » (44)

« La dialectique [ l’art de justifier la marche du monde tel qu’il va] devient alors l’art d’applaudir ceux qui qui nous passent les menottes.» (45)

« ... jamais la nécessité d’une transformation totale des rapports sociaux n’a été aussi évidente. Mais qui le voit ? » (58)

« Les marchands d’illusions ont donc encore de beaux jours devant eux. Pendant le désastre, la vente continue.» (59)

« Si on a besoin de l’idée de décadence, [..] c’est qu’on veut tout de même garder la pose de celui qui discourt à son aise sur la vaine agitation de ses contemporains. C’est ce que l’on appelle s’envelopper dans les vastes plis d’une proposition générale pour chatouiller astucieusement par en dessous sa vanité personnelle.» (68)

« Nous tenons à note époque comme le pendu tient à sa corde : elle nous serre de près, mais va-t-elle craquer avant de nous avoir tout à fait étranglés ? » (76)

« Regardez par exemple l’expression de bêtise endurcie qui couvre instantanément la face de ceux qui se plaisent à répéter : “ Les gens sont trop cons, il n’y a rien à en tirer, etc.” On voit tout de suite que ce sont eux qui sont trop secs et trop mesquins pour tirer quoi que ce soit d’eux-mêmes, et donc pour créer l’occasion de tirer quelque chose de ceux qu’ils rencontrent. Mais c’est aussi en répétant complaisamment ce jugement qu’ils sont devenus aussi secs et mesquins.» (81)

« Eh bien, nos contemporains paraissent décidés à jouir sans réserve de leur liberté, au moins jusqu’à ce que les effets de leur inconscience leur retombent sur la gueule. On y arrive lentement, ne vous en faites pas. » (89)

« C’est moins la conscience qui affleure que la connaissance inutile du désastre qui s’impose. Comme tout le monde est au courant, nul n’a à en parler et, sous le couvert du silence, les choses peuvent suivre leur train. Le simple fait de rappeler la misère et l’effroi de la vie réelle passe déjà pour l’indice d’un ressentiment qui ennuie, et quant à argumenter un jugement critique, c’est tout de suite pris pour une attaque ad hominem inadmissible. Avez-vous remarqué combien de gens, quand on leur fait part de ce qu’on pense de l’état du monde, répondent avec impatience : « Mais on sait déjà tout ça, vous ne nous apprenez rien ! » Et le pire c'est que c’est vrai ! Ce qui en revanche a été désappris, sous l’influence de cette familiarité avec l’ignominie qu’organise la proximité soudaine et têtue de ses images médiatiques, c’est le recul nécessaire à l’examen critique, comme à l’expérience de goûts personnels et à l’apprentissage de capacités indépendantes. Bref, jadis il était interdit de penser librement, aujourd’hui on en a le droit, mais plus la faculté. » (133)

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