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Olivier Maulin - Les Lumières du ciel

6 Janvier 2017 , Rédigé par Christian Adam

« Sur la question du travail, il était d’avant le péché originel, lui aussi. Il trouvait ça à peine croyable de devoir bosser. Pour lui, c’était carrément l’humiliation, la Chute épouvantable, la plaisanterie divine qui a mal tourné. Il ne s’était jamais décidé à quitter le jardin des délices. En arrêt maladie la moitié de l’année, il passait une grande partie de la journée sur son lit à fumer des joints, à écouter Schubert, et à tutoyer les anges. C’était l’innocence incarnée. Ève, la pomme, le serpent, il n’en avait rien à foutre, ça ne le concernait pas. Il était Grec, en un sens.» (92)

 

« À peine arrivé, je sombrais dans la déprime. Tout ici violait mon désir d’héroïsme. Ces affreux petits gobelets en papier, ces tables sales, ces gens qui tournaient en riant, toute cette laideur démocratique. Entre la vulgarité des riches et celle des pauvres, la société ne laisse décidément que peu de place à la beauté.» (100).

 

« La technique est devenue une fatalité de notre époque, disait-il. Poser la question de sa nécessité, c’est passer pour un farfelu. Dire qu’elle a des effets négatifs plus importants que ses effets positifs, c'est sombrer dans la réaction impardonnable. Affirmer qu’elle entraîne toujours plus de technique selon un processus incontrôlable et imprévisible, c’est passer pour un rabat-joie caractérisé. Elle est dotée d’une telle force de conviction qu’il est devenu parfaitement incongru de poser la simple question de son utilité sociale, et donc parfaitement impossible d’y résister. Elle a tout encerclé, tout écrasé, tout soumis à son diktat. Elle est devenue totalitaire. La seule manière de lui échapper, c'est de tout abandonner pour vivre selon une autre mesure du temps.» (132-133)

 

« L’école ? Il a gueulé en tapant sur la table. Ah ! Saloperie ! Je préférerais mourir écartelé que de voir mes enfants à l’école ! Méthodiquement décérébrés ! L’école ? Brider leur imagination ! Leur apprendre les mathématiques ! Leur apprendre à consommer ! Leur inculquer la terreur sacrée des objets ! Les empêcher de réaliser leurs besoins eux-mêmes ! Les soumettre aux institutions, à l’hôpital, aux services sociaux, à l’entreprise, aux politicards, à la prison s’ils se rebellent ! Ah ! Saloperie ! Pardon ! Leur distribuer des hochets en forme de diplômes ! Sans blague ! La seule fonction de l’école, c’est de transformer les valeurs humaines fondamentales en demandes de biens de consommation ! Voilà ce que je pense ! » (135-136)

 

« Métro, boulot, dodo, quelle vie de con ! Les cinglés qui sortent dans la rue pour tirer sur tout ce qui bouge, un geste surréaliste ? mon œil ! un geste tout ce qu’il y a de réaliste ! un geste cartésien ! je pense donc je tire sur la foule ! Je pense donc je pète les plombs ! C’était comme si on me faisait couler du Destop dans la cervelle ! Toutes les certitudes d’aliénés qui se dissolvent soudain... le nœud crasseux installé depuis l’école ! Ah ! Saloperie en effet ! Passer ses journées à courir, à bouffer de la merde, à être assailli d’informations absurdes, à produire de l’inutile et à consommer de l’encore plus inutile ! Les nerfs en pelote, le bruit, la fatigue, le travail imbécile, le réveil-matin, le rap, les boîtes de nuit ! Adieu poésie ! Apprendre devant l’écran, travailler devant un écran, s’informer devant un écran, communiquer devant un écran, se divertir devant un écran, se branler devant un écran, mourir devant un écran ! Au secours ! » (136-137)

« La Côte d’Azur ! Tu parles si on était déçus ! On s’était arrêtés à Nice dans l’après-midi, histoire de faire trois pas sur la promenade des Anglais. On s’attendait à voir du vieux British hautain à petite moustache élégante en redingote, chapeau haut de forme, gants noirs et canne ! De l’aristocrate racée en robe frou-frou, nœud blanc et collier de perles ! Du dandy en gilet rouge... du costard cravate, pour le moins... tu parles ! C’était envahi de cadres abrutis en short qui faisaient leur jogging en crachant par terre ! Certains se mouchaient même en courant, un doigt sur une narine et évacuation de la roupie sur la Promenade ! Diable ! Qui l’eût cru ? Adieu jeunesse, illusions perdues, ô époque ! Ils slalomaient entre les promeneurs, abandonnant derrière eux des effluves de sueur ! Et quels promeneurs ! Des prolétaires pacifiés en survêtement qui bouffaient des cornets de frites grasses, contents de leur sort ! Des sauvages multiethniques qui roulaient des mécaniques comme des chimpanzés en rut en insultant tout le monde ! Adieu hauts-de-forme, cathédrales, sonates ! « Vas-y sale bouffon, nique ta mère » ! Une vraie chance pour la France ceux-là ! On en redemande ! Envoyez-nous en d’autres ! Ça nous ouvre aux cultures du monde ! Et pour compléter le tableau, des vieilles maniaco-dépressives en trottinette erraient au milieu du bordel, ainsi que des milliardaires russes désœuvrés qui avaient tellement mauvais goût qu’on se demandait si ce n’était pas l’école du cirque local qui organisait un happening ! La Promenade des Anglais ? Où qu’y sont, les Anglais ? Remboursez ! On avait repris la bagnole et filé fissa ! » (179-180)

 

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