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Cioran - Joseph de Maistre, essai sur la pensée réactionnaire

5 Février 2012 , Rédigé par Christian Adam

Cioran - Joseph de Maistre, essai sur la pensée réactionnaire

« L’ampleur et l’éloquence de ses hargnes, la passion qu’il a déployée au service de causes indéfendables, son acharnement à légitimer plus d’une injustice, sa prédilection pour la formule meurtrière, en font cet esprit outrancier qui, ne daignant pas persuader l’adversaire, l’écrase d’emblée par l’adjectif.» (11)

« ...ses rares complicités avec le bon sens. Nous ne lui ferons pas, quant à nous, l’injure de le prendre pour un tiède. Ce qui nous retiendra chez lui, c’est sa superbe, sa merveilleuse impertinence, son manque d’équité, de mesure, et, parfois, de décence. » (12)

« Sans ses contradictions, sans les malentendus qu’il a, par instinct ou par calcul, créés à son sujet, son cas serait liquidé depuis longtemps, sa carrière close, et il connaîtrait la malchance d’être compris, la pire qui puisse s’abattre sur un auteur.» (13)

« Qu’est-ce qu’un plaidoyer qui ne tourmente ni ne dérange, qu’est-ce qu’un éloge qui ne tue pas ? Toute apologie devrait être un assassinat par enthousiasme.» (14)

« C’est qu’un penseur met d’ordinaire sa folie dans ses œuvres et conserve sa folie pour ses rapports avec autrui ; il sera toujours plus débridé et plus impitoyable quand il s’attaquera à une théorie que lorsqu’il lui faudra s’adresser à un ami ou à une connaissance.» (15)

« ...tandis que la frustration et la dépossession lui conviennent et l’animent [..] Un penseur s’enrichit de tout ce qui lui échappe, de tout ce qu’on lui dérobe : s’il vient à perdre sa patrie, quelle aubaine ! » (16)

« C’est folie d’imaginer que la vérité réside dans le choix, quand toute prise de position équivaut à un mépris de la vérité. [..] Quiconque se confond avec quoi que ce soit fait preuve de dispositions morbides : point de salut ni de santé hors de l’être pur, aussi pur que le vide.» (18)

« ... le mal se retirerait-il de notre vie que nous végéterions dans cette perfection monotone du bien.» (25)

« Toujours le réactionnaire, ce conservateur qui a jeté le masque, empruntera aux sagesses ce qu’elles ont de pire, et de plus profond : la conception de l’irréparable, la vision statique du monde. Toute sagesse et, à plus forte raison, toute métaphysique, sont réactionnaires, ainsi qu’il sied à toute forme de pensée qui, en quête de constantes, s’émancipe de la superstition du divers et du possible.» (32)

« Dans l’impossibilité où vous êtes de souscrire au futur, vous vous laissez tenter par l’idée de décadence qui, sans être vraie ni fausse, explique du moins pourquoi chaque époque en essayant de s’individualiser n’y parvient qu'en sacrifiant certaines valeurs antérieurs très réelles et irremplaçables.» (47)

« Il n’est pas jusqu’à l'anarchiste qui ne dissimule, au plus profond de ses révoltes, un réactionnaire qui attend son heure, l’heure de la prise du pouvoir...» (49)

« Le révolutionnaire lui-même en use ainsi avec le présent où il s’installe, et qu’il voudrait éterniser ; mais son présent sera bientôt du passé, et, à s’y accrocher, il finit par rejoindre les tenants de la tradition.» (50)

« Pénétrés de la futilité des réformes, de la vanité et de l’hérésie d’un mieux, les réactionnaires voudraient épargner à l’humanité les déchirements et les fatigues de l’espoir, les affres d’une quête illusoire : qu’elle se satisfasse de l’acquis, qu’elle abdique, lui intiment-ils, ses inquiétudes, pour se prélasser dans la douceur de la stagnation..» (51)

« Assoupis, nous le sommes tous ; et, paradoxalement, c’est pour cela que nous agissons..» (52)

« Le côté humain de ses doctrines ne présente qu’un intérêt médiocre. Ses dons, ne s’épanouissant, ne se faisant valoir que dans ses débordements antimodernes et ses outrages au bon sens, il est naturel que ce soit le réactionnaire en lui qui nous requière et nous passionne. Toutes les fois qu’il insulte à nos principes, ou qu’il écrase nos superstitions au nom des siennes, nous avons lieu de nous en féliciter : l’écrivain excelle alors et se surpasse.» (62)

« Il avait besoin, pour l’exercice de son intelligence, d’exécrer toujours quelqu’un ou quelque chose, et d’en méditer la suppression. C’était là un impératif, une condition indispensable à la fécondité de son déséquilibre ; sans quoi il fût tombé dans la stérilité, malédiction des penseurs qui ne daignent pas cultiver leurs désaccords avec autrui ou avec soi. L’esprit de tolérance, s’il y eût cédé, n’eût pas manqué d’étouffer son génie.» (63)

«.. il avait le goût de l’inexactitude et du parti pris [..] l’art de dédaigner les objections [..] Le penseur original fonce plutôt qu’il ne creuse : c’est un Draufgänger, un emballé, un casse-cou [..] Pour émettre la moindre opinion sur quoi que ce soit, un acte de bravoure et une certaine capacité d’irréflexion sont nécessaires, ainsi qu’une propension à se laisser emporter par des raisons extrarationnelles.» (65)

« Sondez le passé d’un écrivain, et surtout d’un poète, examinez en détail les éléments de sa biographie intellectuelle, vous y démêlerez toujours quelques antécédents réactionnaires.» (67)

« ...les féeries habiles du Progrès [..] Pourquoi les conservateurs manient-ils si bien l’invective, et écrivent en général plus soigneusement que les fervents de l’avenir ? C’est que, furieux d’être contredits par les événements, ils se précipitent, dans leur désarroi, sur le verbe dont, à défaut d’une plus substantielle ressource, ils tirent vengeance et consolation [..] Vouloir disséquer leur prose, autant vaut analyser une tempête.» (68)

« Le plus simple serait d’admettre qu’il était sincère ; aussi bien ne décelons-nous dans sa vie la moindre trace de charlatanisme : la lucidité n’alla jamais chez lui jusqu’à l’imposture ou à la farce... C'est là l’unique défaillance de son sens de la démesure.» (70)

« Cramponné à l’absolu par haine d’un siècle qui avait tout remis en question, il devait aller trop loin dans l’autre sens, et, par peur du doute, ériger l’aveuglement en système. N’être à jamais à court d’illusions, s’obnubiler, tel fut son rêve. Il eut le bonheur de le réaliser.» (70)

« Vivante, sa pensée l’est sans conteste, mais dans la mesure seulement où elle rebute ou déconcerte : plus on la fréquente, plus on songe aux délices du scepticisme ou à l’urgence d’un plaidoyer pour l’hérésie.» (71)

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