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Richard Millet - Fatigue du sens

29 Octobre 2013 , Rédigé par Christian Adam

Richard Millet - Fatigue du sens

« Je veux dire simplement le cauchemar qu’est devenue l’immigration de masse, pour les immigrés comme pour les autochtones, fussent-ils eux-mêmes d’anciens immigrés. L’immigration, de quelque façon qu’on la qualifie (politique, économique, climatique, clandestine), n’est qu’un trafic d’êtres humains où les intérêts mafieux rencontrent ceux du capitalisme international, l’un et l’autre entrés dans une apparente dialectique dont l’éthico-juridique est la résolution mensongère et intimidante. » (16)

« Le peuple ? Nous le méprisons dans la mesure où il n’est plus authentique, territorial, immémorial, en un mot : français, mais erratique, simple fils du Nombre : un conglomérat d’associés, comme dirait Sieyès, et en perpétuelle instance de divorce ou se séparant de soi au sein d’une impossible union. Une fiction social-démocrate. Un marché aux esclaves du consumérisme relooké à la mode ethnico-éthique. » (22)

« Les immigrés, en France, surtout les Maghrébins, refusent presque tous ce mouvement de naturalisation véritable. Ils ne sont donc français qu’en partie, ou par défaut. On ne peut dès lors parler d’intégration, encore moins d’assimilation. Une nation est aussi un paysage sonore ; les immigrés constituent une grave altération de ce paysage. On ne saurait être français par la seule vertu du Droit, autre pôle, avec le Marché, de la globalisation du monde. Il y faut autre chose - ce supplément d’âme qui fait aujourd’hui tant défaut, même aux Français de souche, ignares, veules, abrutis et à ce point conditionnés par l’antiracisme qu’ils sont devenus eux aussi indifférents à leur histoire et à leur propre sang : des immigrés par ignorance plus ou moins volontaire. » (36-37)

« Le système démocratique ne me représente pas, ou il le fait si peu que je reste à la lisière de ma propre signification. Je suis l’irreprésentable – l’absent de toute citoyenneté comme de toute politique, n’ayant jamais été inscrit sur une liste électorale, et donc n’ayant jamais voté ; ni anarchiste ni marginal, ni réactionnaire ni oiseau de malheur : celui ne fait point partie du sujet collectif qu’est une nation, par méfiance envers l’illusion démocratique comme par l’horreur que m’inspire l’innombrable de l’espèce humaine. » (41-42)

« Je cultive le sain désespoir de ceux qui savent que tout est perdu...» (44)

« … la souffrance qui est la mienne dans un pays où je ne me reconnais plus… » (49)

« Dans le RER. Un barbu aux poils hérissés, la tête couverte d’un bonnet musulman et, pour le reste, vêtu de la tenue sportive d’un délinquant de banlieue. Il parle dans un iPhone avec l’accent maghrébin, dans un français truffé de formules arabes, pour la plupart religieuses. Qu’ai-je de commun avec cet individu ? Le mépris qu’il paraît vouer au monde occidental ? Pourquoi pas ! Le rapport à la religion ? Admettons-le, même si l’on peut raisonnablement se dire que de tels hommes rêvent de transformer la France en émirat. Pour le reste, évidemment rien, cet homme étant évidemment si antifrançais qu’un même passeport ne saurait nous lier, la nationalité ayant toujours été pour moi autre chose qu’une affaire juridique...» (46-47)

« Le métissage comme idéologie : rien de plus racialiste, sinon raciste, que l’antiracisme d’État. “Comment, vous êtes encore Blanc !” Telle est la rumeur culpabilisante qui se propage dans l’inconscient des masses européennes, bientôt résignées et acceptant pour compensation un consumérisme sans limites. » (58)

« Il n’y a plus de coiffes bretonnes, dans la froide nuit de Rennes, ni de voiles de religieuses ; on n’y rencontre que l’ombre de musulmanes enfoulardées, au regard plus inaccessible encore que celui des Japonaises, et hostile, ces femmes sachant qu’elles ne seront jamais bretonnes ni même françaises, mais des ombres, de plus en plus nombreuses, que l’on regardera s’accroître comme la nuit, et ajoutant à la ruine de la province comme territoire où était conservée l’essence française, autre mythe balayé par la mondialisation : tout est province, les capitales n’étant plus élues qu’au gré des marchés financiers.» (59-60)

« Vulgarité contemporaine engendrée en partie par l’augmentation de la taille des Européens et les progrès de l’ignorance : on ne sait plus que faire de ses jambes, de ses bras, de ses mains, ce qui est particulièrement visible à la façon dont les gens s’assoient dans les transports en commun : jambes écartées, mains et bouche ouverte, regard quasi vide, l’agressivité veillant néanmoins comme seul signe de vie… » (62)

« Il y eut un temps où les hommes politiques parlaient de seuil de tolérance à propos de l’immigration extra-européenne. Lévi-Strauss évoquait ce seuil avec Mitterrand. Un seuil fixé à dix pour cent. Aujourd’hui, ce pourcentage raisonnable est à ce point battu en brèche par une immigration massive et continue qu’on parle de quotas, terme plus politiquement correct mais si vague et si fluctuant qu’il revient à parler pour ne rien dire. Les immigrés sont là, eux, non intégrés, sans doute inassimilables, et la guerre civile est en cours : une guerre le plus souvent silencieuse, et perdue d’avance par les autochtones. C’est à mon propos que, sur certaines lignes de métro, dans certains quartiers, il faut parler de seuil de tolérance : je suis devenu le toléré ; le double produit de la décolonisation et de l’économie de marché, autrement dit l’objet d’une intolérance majeure. Je suis le dehors, par la force des choses ; je suis devenu l’autre, le vrai, le Français intraduisible dans la langue du même qu’est la doxa antiraciste. » (67-68)

« Il y a longtemps que je ne vis plus vraiment parmi les hommes, mes contemporains, veux-je dire, ne croyant pas à l’amélioration de l’espèce ni à l’immédiateté du bonheur, et depuis longtemps terrifié par l’expansion de l’espèce. Je ne demande rien à mon temps. Je n’attends rien de personne. Il me suffit de me tenir dans la distance intérieure où je me retranche de l’Homme même, dans cette forme de sainteté, ou dans une éthique minimale qui a force de pierre. » (76)

« Qu’ai-je de commun avec les “jeunes issus de l’immigration”, sinon deux ou trois cent mots que nous n’articulons pas tout à fait de la même façon ? » (96)

« J’aime l’idée d’être un pur français : que pourrais-je être d’autre ? J’aime la pureté, où qu’elle se trouve et je me suis toujours méfié du discours sur l’impur comme valeur : il y a une doxa qui autorise toutes les dérives du politiquement correct, notamment celle du métissage comme recours contre la pureté. La pureté n’est ni frileuse ni abjecte, encore moins un fantasme politique ; elle est un donné...» (106)

« Je passe un mois à Dinard, dans le silence, la solitude, la méditation. Il me faut soudain me rendre à Rennes. Je suis si terrifié par le monde qui déambule dans les rues que je reste près d’une demi-heure sous le porche d’une église, à regarder les gens : de jeunes Blancs à tresses jamaïcaines ; des filles aux lèvres et aux joues percées de boucles et de perles qui les enlaidissent ; des Africaines obèses et leur marmaille ; un couple de musulmans dont l’homme est barbu et la femme sévèrement enfoulardée ; des vieillards en vestons bon marché et chaussures de sport. Des autobus sillonnent la ville depuis la banlieue jusqu’au centre, et inversement, transportant des gens hâves, perdus, repliés sur eux-mêmes. Aspect minable de tout : gens, rues, magasins, pizzérias, kebabs, snacks, boutiques discount. Le « centre-ville » est devenue une banlieue, et la banlieue le nulle part des parties suburbaines où s’accomplit la déchéance des nations. Et moi, cherchant à dominer mon dégoût sous un soleil d’août poussiéreux et fade, retrouvant comme une chance la vieille étrangeté au monde. » (107-108)

« Je crois aux races, aux ethnies, aux étrangers, aux frontières, à l’ailleurs. J’aime qu’il y ait d’autres peuples et n’en juge aucun supérieur aux autres même si j’en estime certains plus que d’autres pour des raisons culturelles, esthétiques, historiques, religieuses. Préférence qui suggère que les peuples doivent rester eux-mêmes. L’idée d’un monde entièrement brasilianisé me terrifie… » (117)

« Comment survivre en un pays dont on ne supporte plus la population, ni l’abaissement moral, ni la déchéance culturelle ? » (127)

« Le répugnant spectacle de la population française : comment avoir pitié de ce qui est veule, laid, ignare et incapable d’autres révoltes que des sursauts destinés à conforter le Marché dans un état de bon fonctionnement ? Le degré de servilité du Français se mesure à la haine qu’il croit entretenir envers le pouvoir ainsi qu’à sa capacité à le servir. » (134)

« Elle me dit avec des frissons quasi extatiques le bonheur qu’elle trouve à vivre à Montreuil-sous-Bois, « deuxième ville malienne du monde », et cela malgré les nuisances, qu’elle reconnaît, occasionnées par cette population immigrée. Je lui rétorque que si Montreuil est une ville malienne, elle y est une étrangère, quoique blanche et française. Elle me regarde alors avec colère, cette sexagénaire qui a combattu pour le Vietnam, le Larzac, Lip, l’avortement, les homosexuels, les prisonniers, les immigrés, et qui veut militer pour la légalisation des drogues douces, et qui, avec ses rides, ses longs cheveux gris, son teint jaunâtre de fumeuse, son haleine fétide, sa parole effondrée, a bien la tête dégénérée de ces gens qui fument du hachisch depuis plus de quarante ans. » (147)

« Un nouveau monde est en train de naître, avec lequel nous n’avons presque rien de commun. Nous aurons vu la mort de l’ancien et savons maintenant que celui qui vient n’est que le cauchemar qui suit la fin non seulement d’une civilisation, mais celle de l’Histoire. Nous ne serons pas, nous autres, des êtres posthistoriques. Nous ne serons rien, prenant le nihilisme au mot, afin d’être nous-mêmes. » (154)

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Olivier Bardolle - La vie des hommes

12 Octobre 2013 , Rédigé par Christian Adam

Olivier Bardolle - La vie des hommes

Extraits de l’inédit Le délicieux vertige de la dissolution (pp.15-27) :

« Mieux vaut en finir avec le désir, toujours susceptible de déraper à la moindre sollicitation, et abandonner définitivement tout “esprit de conquête” (les guerres de décolonisation et la pornographie de masse avaient déjà préparé le terrain). Laissons-nous aller au bonheur d’être impuissants, enfin libérés de cette “obligation de pouvoir”, pour nous en remettre à l’évolution silencieuse et pacifique de la vie numérique, parfaitement anesthésiante, désensibilisatrice, parce qu’elle seule sait créer une distance suffisante entre les êtres qui deviennent tolérables (insipides et inodores) une fois qu’ils sont passés de l’autre côté de l’écran. En résumé, plus rien ne m’atteint, mes pulsions, mes instincts et même mes émotions sont rigoureusement tenus en laisse, je suis enfin tranquille (même si je prends de temps en temps un tranquillisant), je n’existe qu’à peine, je suis presque mort.. » (17-18)

« Dans le même mouvement, chacun est prêt à abandonner ce qui faisait son identité dans l’ancien monde. Peu importe que l’on soit homme ou femme, blanc, noir ou jaune, chrétien, juif ou musulman, gay ou hétéro, du moment que l’on est le plus possible “comme tout le monde”. Car il convient, pour que la fusion ait lieu, de niveler les différences, soigneusement raboter ce qui dépasse, égaliser tous azimuts, faire en sorte qu’il n’y ait plus qu’une seule pâte humaine, une communauté indistincte, afin que les tensions soient annihilées, les antagonismes neutralisés, qu’il n’y ait plus de volonté propre mais une résolution unanime à aller tous ensemble dans la même direction du Bien universel. » (18)

« Il faut par conséquent vous occuper, faire en sorte que vous n’ayez pas une minute à vous, que vous soyez pleinement persuadé de votre position d’impuissant privilégié, bien intégré au système, dans un monde lourd de menaces et sur le point de s’écrouler. L’effroyable vérité, que le simple bon sens vous murmure tous les jours à l’oreille, étant qu’il n’y a pas de positions de repli, de grands ailleurs mirifiques, pas de plans B ni de mondes alternatifs : nous n’avons plus que celui-là, tel que nous l’avons fait, tel qu’il est devenu, c’est-à-dire à peu près invivable et parfaitement inhumain. » (20)

« Un trentenaire a-t-il encore la possibilité d’exister sans son portable et Internet ? Que signifie le mot être pour lui ? Ou plutôt comment parvient-il à être sans son double électronique ? En fait, et nous le savons, parce que nous le constatons tous les jours par nous-mêmes, l’excès d’efficacité de la vie numérique et technique a déjà fait la peau à la poésie, à l’érotisme, à la beauté, à la lenteur, et d’une manière générale à toutes les vertus aristocratiques.»

« Oui, un autre monde va être possible, et même inéluctable, mais il ne ressemblera probablement pas à ce que les altermondialistes avaient imaginé. [..] La dissolution comme solution, telle est bien la volonté secrète qui sous-tend les faits et gestes des Occidentaux qui, fatigués d’eux-mêmes jusqu’à la nausée, n’aspirent plus qu’à se débarrasser une fois pour toutes de leur responsabilité historique. En somme, hâtons-nous de tout oublier et qu’on n’en parle plus. C’est ainsi que la vie des hommes, tels que nous la connaissons depuis quelques milliers d’années, est en train de prendre fin pour laisser la place à autre chose. Autre chose à laquelle nul n’est tenu de collaborer, et pour laquelle il n’est pas non plus obligatoire de se réjouir. Libre à chacun de pratiquer la suspension du jugement et de rechercher l’ataraxie en solitaire, tout en profitant des derniers instants de liberté dont il dispose encore pour se délecter de ces moments exquis, si caractéristiques des fins de civilisation, en accrochant à sa face s’il le souhaite – et pour faire bonne figure – le sourire reposant du Bouddha. » (23)

« Selon des études d’opinion spécialisées dans la « joie de vivre », les Français seraient le peuple le plus déprimé de la Terre. [..] Ce vieux peuple qui a tout connu, tout vécu, épuisé par toutes les guerres perdues, sait ce que c’est la tragédie de l’histoire. [..] Il a du flair pour renifler les catastrophes à venir. Il les voit venir de loin, bien avant les autres [..] et les Français, conscients de ce qui arrive, ne sont pas loin de penser que l’expérience humaine, sous la pression du nombre, est en train d’échouer. Alors, ils font un peu la gueule, c’est compréhensible. Ils n’ont pas envie d’aller vivre dans l’espace ni au fond des océans, ils n’ont pas envie de se nourrir d’insectes, ils ne souhaitent pas échanger leurs vieux organes fatigués contre des prothèses, ils ne veulent pas non plus stocker leurs gamètes dans l’azote liquide pour pouvoir un jour féconder une femme qui aura l’âge de leur petite fille, les Français, majoritairement, sont de l’ancien monde...» (27)

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Deux extraits d’un entretien paru dans Causeur (décembre 2013) :

« Nous vivons le crépuscule des vieux : les vieux mâles blancs, qui ont connu l’Ancien Monde, sont le grand Satan de l’époque. Honnis, chassés, même morts, ils restent infréquentables. On ne les tolère que paraplégiques [..] II leur faut raser les murs, se faire infiniment discrets et donner, encore et toujours, des gages à cet idéal compassionnel caractéristique du vaste jardin d’enfants qu’est devenue la société en quelques décennies. II est vrai que, frappés par le désespoir, rongés par la mauvaise conscience, idiotisés par le remords, ils sont désormais débiles, abouliques, en attendant d’être définitivement brimés, écartés, aplatis. Ce sont des cadavres opulents. »

« Ce qui mène l’homme à sa perte n’est pas son désir de s’enrichir pour vivre bien, mais sa volonté de s’enrichir sans limites, son incapacité à se déclarer rassasié, sa poursuite infatigable d’une puissance toujours plus grande. L’homme aurait dû rester tranquille, limiter sa croissance comme ses ambitions, et nous aurions bénéficié de quelques siècles supplémentaires de vie paisible. Au lieu de quoi nous voilà réduits aujourd’hui à errer dans un espace qui ne cesse de se réduire, avec au cœur l'angoisse de notre prochaine disparition.» (Entretien, in Causeur, décembre 2013)

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