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Tiqqun - Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille

3 Mars 2019 , Rédigé par Christian Adam

« La Jeune-Fille est soudain prise de vertiges, quand le monde cesse de tourner autour d’elle. » (24) 

« La perte du sens métaphysique ne se distingue pas, dans la Jeune-Fille, de la “perte du sensible”, en quoi se vérifie l’extrême modernité de son aliénation. La Jeune-Fille se meut dans l’oubli de l’Être, non moins que dans celui de l’événement. Toute l’incompressible agitation de la Jeune-Fille est, à l’image de cette société en chacun de ses points, gouvernée par le défi caché de rendre effective une métaphysique fausse et dérisoire dont la substance la plus immédiate est la négation du passage du temps, comme aussi bien l’occultation de la finitude humaine. » (29-30)

« En tant que son apparence épuise entièrement son essence et sa représentation sa réalité, la Jeune-Fille est l’entièrement dicible ; comme aussi le parfaitement prédictible et l’absolument neutralisé. » (30)

« Parvenir à “réussir à la fois sa vie sentimentale et sa vie professionnelle”, certaines Jeunes-Filles affichent cela comme une ambition digne de respect. » (31)

« La Jeune-Fille n’apprend jamais rien. Elle n’est pas là pour ça. » (33)

« La Jeune-Fille ne parle pas, au contraire : elle est parlée par le Spectacle. » (33)

« La Jeune-Fille n’est pas là pour qu’on la critique. » (35)

« La prétendue libération des femmes n’a pas consisté dans leur émancipation de la sphère domestique, mais plutôt dans l’extension de cette sphère à la société toute entière. » (40)

« La Jeune-Fille n’a de cesse de le répéter : elle veut être aimée pour elle-même, c’est-à-dire pour le non-être qu’elle est. » (41)

« La Jeune-Fille est optimiste, ravie, positive, contente, enthousiaste, heureuse ; en d’autres termes, elle souffre. » (43)

« La Jeune-Fille offre un modèle non-équivoque de l’ethos métropolitain : une conscience réfrigérée vivant en exil dans un corps plastifié. » (45)

« La Jeune-Fille est celui pour qui il y va de son être même de réduire le fait métaphysique de la finitude à une simple question d’ordre technique : quelle est la plus efficace des crèmes anti-rides ? Le caractère le plus émouvant de la Jeune-Fille est sans doute cet effort maniaque d’atteindre, dans l’apparence, à une imperméabilité définitive au temps comme à l’espace, à son milieu comme à l’histoire, d’être partout et toujours impeccable. » (50)

« Entre la Jeune-Fille et le monde, il y a une vitrine. Rien ne touche la Jeune-Fille, la Jeune-Fille ne touche à rien. » (52)

« De l’identité de la Jeune-Fille, rien ne lui appartient en propre, sa “jeunesse” moins encore que sa “féminité”. Ce n’est pas elle qui possède des attributs, mais ses attributs qui la possèdent et qu’ON lui a généreusement prêtés. » (52)

« La Jeune-Fille est comme le capitalisme, les domestiques et les protozoaires : elle sait s’adapter, et de plus, elle s’en flatte. » (55)

« À rebours de ce qui a cours dans les sociétés traditionnelles, qui reconnaissent l’existence des choses abjectes et les exposent en tant que telles, la Jeune-Fille nie leur existence, et les dissimule. » (55)

« De la musculation aux crèmes anti-rides en passant par la liposuccion, c’est partout chez la Jeune-Fille le même acharnement à faire abstraction de son corps, et à faire de son corps une abstraction. » (60)

« Toute relation avec la Jeune-Fille consiste à être choisi à chaque instant à nouveau. C’est ici comme dans le travail la même précarité contractuelle qui s’impose. » (64)

« La Jeune-Fille a sa réalité hors d’elle-même, dans le Spectacle, dans toutes les représentations frelatées de l’idéal qu’il trafique, dans toutes les fugitives conventions qu’il décrète, dans les mœurs dont il commande le mimétisme. Elle n’est que la concrétion insubstantielle de toutes ces abstractions, qui la précèdent et qu’elle suit. En d’autres termes, elle est une créature purement idéologique. » (67)

« Tous les comportements de la Jeune-Fille trahissent l’obsession du calcul. » (67)

« Toute l’activité que déploie la Jeune-Fille, au profit de laquelle elle a abdiqué toute liberté et dans laquelle elle n’en finit plus de se perdre, est de nature cosmétique. C’est par là aussi qu’elle s’apparente à l’ensemble de cette société, qui met tant de soins à ravaler sa façade. » (70)

« La Jeune-Fille vit en famille parmi les marchandises, qui sont ses sœurs. » (84)

« Il faut s’expliquer l’aspect vitrifié du visage de la Jeune-Fille par ceci qu’en tant que marchandise, elle est la cristallisation d’une certaine quantité de travail dépensée à se mettre aux normes d’un certain type d’échange. Et la forme d’apparition de la Jeune-Fille, qui est aussi celle de la marchandise, se caractérise par l’occultation, ou du moins l’oubli volontaire, de ce travail concret. » (84-85)

« L’œil de la Jeune-Fille porte en lui la mise en équivalence effective de tous les lieux, de toutes les choses et de tous les êtres. Ainsi la Jeune-Fille peut-elle consciencieusement ramener tout ce qui entre dans son champ de perception à quelque chose de déjà connu dans la Publicité aliénée. C’est cela que traduit son langage, qui déborde de “genre...“, “style...” et autres “façon...”. » (86)

« L’impersonnalité de la Jeune-Fille a la même substance idéale, impeccable et lustrale que l’argent. La Jeune-Fille elle-même n’a pas d’odeur. » (95)

« La Jeune-Fille est le collaborateur idéal. » (102)

« La Jeune-Fille conçoit la liberté comme la possibilité de choisir entre mille insignifiances. » (102)

« La Jeune-Fille a, au fond d’elle-même, un caractère de tampon ; elle est ainsi porteuse de toute l’indifférence convenable, de toute la nécessaire froideur qu’exigent les conditions de la vie métropolitaine. » (105)

« La Jeune-Fille est un article de consommation, un dispositif de maintien de l’ordre, un producteur de marchandises sophistiquées, un propagateur inédit des codes spectaculaires, une avant-garde de l’aliénation, elle est aussi un divertissement. » (116)

« À entendre la Jeune-Fille, la question des fins ultimes serait superflue. » (117)

« La Jeune-Fille est la termite du “matériel”, la marathonienne du “quotidien”. La domination a fait d’elle la porteuse privilégiée de l’idéologie du “concret”. La Jeune-Fille ne se contente pas de raffoler du “pas compliqué”, du “simple” et du “vécu” ; elle juge en outre que l’“abstrait”, la “prise de tête” sont des maux qu’il serait judicieux d’éradiquer. Mais ce qu’elle appelle le “concret” est lui-même, dans son unilatéralité farouche, la chose la plus abstraite. Il est plutôt le bouclier de fleurs fanées derrière lequel s’avance ce pour quoi elle a été conçue : la négation violente du métaphysique. Contre ce qui la dépasse, la Jeune-Fille n’a pas seulement une dent, mais une bouche entière de canines enragées. Sa haine envers tout ce qui est grand, envers tout ce qui n’est pas à portée de consommateur est sans mesure. » (118)

« ON l’ampute de tout ce qui la rend singulière jusqu’à la rendre semblable en indigence à une idée. » (123)

« La Jeune-Fille est présentement le plus luxueux des biens qui circulent sur le marché des denrées périssables, la marchandise-phare de la cinquième révolution industrielle qui sert à vendre toutes les autres, de l’assurance vie à la centrale nucléaire, le rêve monstrueux et bien réel du plus intrépide, du plus fantasque des commerçants : la marchandise autonome, qui marche, parle et fait taire, la chose enfin vivante, qui ne saisit plus le vif, mais le digère. Trois millénaires du labeur inlassable de milliards d’existences de boutiquiers replets, génération suivant génération trouvent leur couronnement génial dans la Jeune-Fille : car elle est la marchandise qu’il est interdit de brûler, le stock qui s’engendre lui-même, la propriété inaliénable et incessible pour laquelle il faut cependant payer, la vertu qui sans arrêt se monnaye, elle est la catin qui exige le respect, la mort se mouvant en elle-même, elle est la loi et la police tout ensemble... Qui n’a, par éclair, entrevu dans sa beauté définitive et funèbre le sex-appeal de l’inorganique ? » (140-143)

 

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