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Olivier Bardolle - Éloge de la graisse

12 Mars 2019 , Rédigé par Christian Adam

« Un excès de satiné, d’irisation, d’effluves, une débauche de “trucs de fille” et c’est foutu, vous devenez “écœurante” (c’est-à-dire que le cœur se carapate…), imbaisable, carrément moche, pétasse intégrale, beurk ! L’excès d’appas repousse les plus vaillants. L’homme normalement viril n’en peut plus de ces délires de boudoir, ça pue la fanfreluche, le gnagnagna, et surtout l’égocentrisme forcené. “Comment voulez-vous jouir avec pareille greluche ?” se dit le mâle atterré et nostalgique de la rusticité des casernes. Pour plaire à nouveau, sans chercher à séduire, il faudra oublier de “faire la fille”, lever le pied sur les accessoires en dentelles et les pots en cosmétique, être un peu plus “soi-même”, c’est-à-dire naturelle, avec toute la graisse que cela implique, et la faculté des plus archaïques de “faire bander” sans même y penser. » (28-29)

« C’est ce monde tyrannique de l’image et de ces pubs obsessionnelles qui vous serinent constamment que “vous le valez bien”, que votre valeur en somme dépendra tout simplement de votre apparence physique. C’est ce monde frénétique de l’hyperconsommation qui harcèle la jeune fille en vue de sa réification. Ceci pour en faire cet “objet de consommation” (et nullement un sujet de désir, nuance) démultiplié à l’infini qui fait que toutes les “jeunes filles” se ressemblent, se “valent”, et arborent les mêmes corps satinés, épilés, bronzés, portent les mêmes marques d’accessoires, les mêmes vêtements griffés, accomplissent les mêmes gestes, et parlent de la même façon une langue pauvre et sans relief, tels des millions de clones qui se répliquent de par le monde sous la houlette d’un marketing abrasif, obsédé par la peau d’orange, la cellulite, la culotte de cheval et autres capitons, alliance objective et performance entre l’industrie des cosmétiques, les milieux de la mode et de l’habillement, et les groupes de presse qui ont fait de la “jeune fille” l’alpha et l’oméga de leurs plans marketing et l’apogée de leurs fantasmes publicitaires.» (46-47)

« Mais retournons à nos limandes sophistiquées qui servent de modèle à des millions d’adolescentes de par le monde. Comment ces marcheuses dégingandées, arpenteuses de podium, spectrales, insectiformes, au regard vide, peuvent-elles à ce point inspirer la société au point de servir de référence ? “Les coulisses du rêve !” titrent les magazines qui vont les photographier en backstage, mais de quel rêve parlent-ils ? Véritables étoiles filantes, les “défilantes” des défilés se défilent dès que vous tentez de les approcher, anguilles qu’elles sont, par nature évanescentes, tout à fait fluides, elles ne font que passer. C’est peut-être cette fugacité qui fait la beauté étincelante du top model sur scène ; hyper maquillée, hyper sapée, hyper préparée, hyper coiffée, le temps d’une apparition, la beauté est là, pendant une poignée de secondes, à peine quelques grains de sable qui s’écoulent dans le sablier, et la voilà qui disparaît. » (68-69)  

« En bref, le mannequin n’existe pas, il n’est qu’une image animée, une illusion d’optique, un mirage sur scène, une enveloppe vide. […] Admirée en tant que symbole, aimée comme une icône, jamais comme une personne, paniquée par la sourde impression de “ne pas être”, de n’être qu’une surface lisse, dépourvue de toute épaisseur, de profondeur, de substance. […] Et si l’on souhaite tenir le cap, préserver sa maigreur, autant dire son fonds de commerce, aucun écart alimentaire n’est permis, c’est régime, diète, jeûne, nuits blanches, disette organisée, coke, boîtes de nuit, régurgitations avec doigts au fond de la gorge, hydro du côlon, jogging forcené, salle de gym trois fois par semaine, il s’agit d’un entraînement de haut niveau, comme dans le sport d’élite. » (71-72)

« Avec l’hyper-jeune fille on ne plaisante pas car elle est totalement dénuée d’humour, et l’autodérision lui est impossible. […] Elle est fasciste par essence, elle aime bien que tout soit contrôlé, sécurisé, balisé. […] L’hyper-jeune fille est inculte, forcément. Elle a horreur de “se prendre la tête” […] En toute chose, elle a une vision manichéenne, dualiste, c’est in ou c’est out et puis c’est tout, elle est simpliste par essence, complètement cool. […]  Enfin, l’hyper-jeune fille pratique beaucoup le sexe (c’est bon pour la santé, comme le confirment tous les magazines), elle le pratique mais ne jouit pas. L’hyper-jeune fille, il faut le savoir, est très peine-à-jouir. Elle ne sait pas donner, elle est en contrôle constant, et totalement centrée sur elle-même : à la fois narcissique et “inquiète”, elle est contrainte à la simulation, mais comme toute son existence est simulation, elle ne s’en trouve pas plus mal…» (83-85)

 

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