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Olivier Maulin - Gueule de bois

12 Juillet 2019 , Rédigé par Christian Adam

 

« Il lui expliquait qu’on avait réussi grâce à la pub à faire désirer aux pue-la-merde ce qu’on avait programmé pour eux dans notre seul intérêt. Pas de matraque, pas de camp, pas de violence. Et on leur laisse croire qu’ils sont libres par-dessus le marché ! C’est génie ou c’est pas génie ? Venez consommer librement les petits pioupious, c’est vous qui décidez de tout... La baronne commençait à piger : elle s’est mise à mouiller ! Transformer leurs désirs en besoins ! Les rendre compulsifs, dépendants du bonheur dans l’achat ! Un coup de déprime ? Lèche une vitrine, connasse ! Génie, oui, je l’affirme ! Grâce à la pub, ils avaient renoncé à produire eux-mêmes ce dont ils avaient besoin et ils étaient heureux ! Contents de bouffer de la merde de cheval surgelée ! Ravi de s’empoisonner de raviolis aux os broyés, nerfs et tendons ! Guillerets de préparer des purées en flocons ! Éplucher une patate ? Plus le temps ! Trop de boulot ! Mais je m’éclate, rassurez-vous ! J’abandonne mes enfants tous les jours à des nourrices inconnues, je pue des bras à cause du stress, je donne du poison à mon bébé mais je suis plus épanouie qu’au treizième siècle, hihihi ! Et puis je pars en week-end à l’étranger et je finirai en maison de retraite tout confort. La pub, meilleur dressage de l’histoire de l’humanité ! Tout en douceur et en cajolerie, lait maternel et régression ; pornographie pour impuissants, les exciter un peu, qu’ils s’imaginent être vivants... Le choix pour les rebelles : choisir une autre marque. » (109-110) 

« Il faut dire que de progrès en progrès, l’humanité avait dégringolé à une vitesse vertigineuse, oubliant tout, reniant tout, se moquant de tout, brandissant son renoncement comme ultime espérance, persuadée de s’élever à mesure qu’elle sombrait dans l’abîme. On était bel et bien passé des hautes civilisations mégalithiques à … Jacques Attali souhaitant pour la grandeur de l’homme « l’acceptation du neuf comme bonne nouvelle, de la précarité comme valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme richesse ». Quel gouffre ! Quelle chute ! C’était à se demander si ce n’étaient pas les démons qui avaient pris le contrôle de l’humanité.» (187)

« Il m’épatait, ce gnome ! Il faisait parler la forêt ! Il reconstituait les rencontres animales ! La moindre trace dans la boue, le moindre gland perforé, le moindre tronc rongé, le moindre excrément de blaireau lui racontaient un tas de choses qu’on ne soupçonnait pas, nous autres. Et voilà comment il passait sa vie, tout seul dans les bois, à reconstituer les épopées microcosmiques, à observer des petites choses insignifiantes dont absolument tout le monde se foutait comme de l’an quarante. Et tout ça pour rien. Gratuitement. Sans en tirer profit : scandale ! Il savait tout des bêtes, des plus grosses aux plus petites : ce qu’elles mangeaient, leurs mœurs, leurs cycles, les comportements, les habitudes… et les interactions… Sans parler des plantes qui n’avaient aucun secret pour lui. Il n’avait jamais gobé une pilule de sa vie, n’était jamais allé voir un médecin… En cas de bronchite, il se faisait une infusion de violette, tussilage et bouillon-blanc ; camomille pour l’otite ; ail-des-ours macéré dans l’eau-de-vie pour la tension ; macération des fruits de l’alisier pour les troubles digestifs… Colchique des prés pour les cors aux pieds. Feuilles de chêne écrasées pour les verrues. Feuille de chou sur le front quand le crâne tambourine ! Quand il avait mal à l’oreille, il chauffait des tiges de frêne, récoltait la sève bouillonnante sur un coton et s’en badigeonnait l’oreille. Et l’infusion du houx quand il avait la toux ! Le radis noir pour la constipation ! Les recettes millénaires ! Aller voir un médecin ? Il n’y avait jamais pensé ! Heureusement qu’il ne savait pas que j’étais « journaliste spécialisé environnement » travaillant dans un magazine médical ! Accro aux antibiotiques, vivant dans un monde  qui ne signifiait plus rien, incapable de nommer les arbres qui m’entouraient. Distinguant à peine un chêne d’un hêtre. Confondant belladone et myrtille. Ayant perdu toute autonomie, ne sachant plus chasser, fabriquer mes vêtements, me soigner, diriger ma vie, aimer… ne sachant bientôt plus cuisiner à force de bouffer surgelé ! Loin des supermarchés, je crève ! Ouin ! Si je me sentais con soudain, mais oui ! Quant à Béatrice, elle voyait la forêt en termes de ressources à exploiter… Tout ce bon bois pour fabriquer des meubles Ikea et des feuilles d’impôts. Va savoir s’il n’y avait pas de gaz de schiste là-dessous par-dessus le marché. Ça nous ferait de l’énergie pas chère. Un point de croissance, dont profiteront les millionnaires ! Alors les mulots, les musaraignes, les campagnols… si on s’en foutait… La croissance, la croissance, bêêê, bêêê ! » (190-192)

« Soudain, j’ai tout compris. Je vivais en prison depuis ma naissance. On m’avait retiré tout ce que mes ancêtres avaient mis des milliers d’années à construire et on m’avait donné quelques hochets à la place : du confort, quelques années de plus à vivre (en me faisant chier), des DVD, une carte d’électeur trafique. On m’avait dressé comme les clébards du lieutenant. Dressé à travailler pour les autres tous les matins. Dressé à voter pour des parasites qui vivaient sur mes impôts. Dressé à accepter d’être fiché de tous les côtés. Dressé à désirer ce que l’on attendait de moi. Dressé à accepter l’idée de finir en maison de retraite. Dressé à ne plus rien contrôler de ma vie. Dressé ! La voilà, la civilisation ! Après l’ivresse, j’avais une solide gueule de bois. Il fallait s’échapper, tout brûler, tout casser… » (192-193)

« La technologie rendait leur connaissance périmée, non transmissible. Déconnectés, les vieux ! Ce qu’ils savent est ringard, ne mérite pas cinq minutes d’attention. Incapables de faire fonctionner un smartphone 5G, de changer une carte Sim. Vous êtes hors-jeu les vieux, surtout ne faites pas d’histoires, n’essayez pas de résister. Trouvez-vous des plaisirs en fin de vie et faites-vous tout petits ! Quand ils parlaient, la jeunesse ricanait dorénavant. La jeunesse bête par essence, tombée du nid, au lait qui coule du nez. La jeunesse malléable, perméable, imbécile, qui produit et consomme. Plus besoin des vieux ! « Mais non mémé, ça fait belle lurette que tes idées sont dépassées… » « Mais non, pépé, le progrès est passé par là… » Finie, la transmission, en attendant la science qui arrêtera la mort… Du coup, on les consolait avec leur “sagesse”… » (203)

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